Dans Prisoners, Denis Villeneuve manie le tortueux sentiment de vertige. Meurtre ? Kidnapping ? Réseau ? Le récit est une proposition d'immersion auprès des familles bouleversées par la disparition des deux petites filles - l'environnement devient un dôme suffocant d'angoisse et de nervosité, avec pour toile de fond une pluie et un ciel grisâtre qui ne saurait nous consoler.

Au fur et à mesure, la chute devient à la fois inévitable et illusoire. La disparition des deux jeunes filles est proposée sous une lueur pessimiste où la finalité se veut fatalement déchirante. Néanmoins, aucune preuve atteste l'éventuel drame de cette histoire - c'est probablement là tout le génie de Villeneuve. Le drame se veut évident lors de la reconnaissance de cette chaussette rose ensanglantée - le sourire d'un lapin n'a jamais été aussi tragique, surtout lorsqu'il provoque les chaudes larmes de Keller Dover (Hugh Jackman). Le doute s'estompe (une fois de plus) lorsque le sang sur les vêtements s'avère être du sang de porc.

La tension est telle pour le père de famille, que son insuffisance le cantonne au rôle de prisonnier : prisonnier de sa colère tant l'impuissance le consume. Cette rage l'emprisonne psychiquement, ce qui le pousse à imposer des sévices à Alex (Paul Dano), déficient mental et principal suspect - mais aussi physiquement lorsque Holly, l'autrice des kidnappings, emprisonne Keller dans un trou, sans qu'il puisse s'en extirper seul.

En somme, on se cache les yeux car on redoute sans arrêt la preuve fatidique - néanmoins l'horreur ici n'est pas projetée par le meurtre d'enfant mais par la torture psychologique de cette attente agonisante. Celle-ci entraîne l'horreur concrète : les violentes sévices de Keller envers Alex, alors même qu'il n'est plus convaincu de sa culpabilité. Alex est un punching-ball une raison d'expier une torture psychologique qui dépouille Keller de ses valeurs et de ses croyances. Celui supposé endosser le rôle de protecteur au sein du foyer, vacille. Le portrait du bon père chrétien est atrophié, ce père meurtri devrait (traditionnellement) aller se confesser dans une église, comme le bon américain qu'il devrait être. Que nenni, Keller est au cœur d'une psychose qui le pousse à actionner le levier d'eau brulante sur le pauvre Alex, tout en récitant des versets. L'enquête devient un centre de détention général où tous les membres impliqués par la disparition sont réunis directement ou par déflagration : l'enquêteur, la mère emprisonnée par son chagrin, la culpabilité du frère, l'impuissance du père, la faiblesse d'Alex.

Quoi qu'il en soit, on boucle sa ceinture, on met son gilet de sauvetage car on tente de se préparer au crash, sauf que le voyage est jonché de perturbations qui se détachent de la catastrophe - Denis Villeneuve joue de notre sensibilité. Les performances d'acting sont à la hauteur d'une immersion réaliste, qui j'image, à dû être d'une grande intensité. La concentration de Jake Gyllenhaal, la transcendance de Hugh Jackman, la justesse de Paul Dano ; pour ne citer qu'eux, viennent à coup sûr signer un des meilleurs films de Denis Villeneuve.

ManonBellah
8
Écrit par

Créée

le 14 juil. 2023

Critique lue 21 fois

ManonBellah

Écrit par

Critique lue 21 fois

D'autres avis sur Prisoners

Prisoners
Gand-Alf
8

Le sang des innocents.

Le cinéaste canadien Denis Villeneuve s'expatrie à Hollywood, se retrouvant aux commandes d'un thriller qui ne semblait pas forcément sortir du lot au premier abord, avec son sujet classique et son...

le 10 oct. 2013

155 j'aime

6

Prisoners
guyness
7

Au delà du cercle polar

On peut parfois comprendre la singulière qualité d’un film à travers le concert de reproches qui lui sont faits. (parmi ceux-ci, le plus amusant consistait à reprocher à ses personnages de faire...

le 10 déc. 2013

128 j'aime

23

Prisoners
SanFelice
7

Le serpent et le péché originel

A la fête de Thanksgiving, deux fillettes sont kidnappées. Un suspect, qui a été aperçu sur les lieux avec son camping-car, est arrêté mais, faute de preuves, il est relâché, à la grande colère du...

le 20 déc. 2013

97 j'aime

4

Du même critique

Terrifier 2
ManonBellah
3

Art et/est l'art incompris

À peine sorti dans les salles américaines en octobre 2022 à l'occasion de l'immanquable fête d'Halloween, le retentissement de Terrifier 2 générait un écho cinglant à travers le globe. Le clown...

le 23 mars 2023

2 j'aime

Whitney Houston - I Wanna Dance With Somebody
ManonBellah
4

Un biopic pas à la hauteur de celle qu'on surnommait "The Voice"

Avant d'être une émission, The Voice était Whitney E. Houston.Bien que les performances live de la chanteuse furent de véritables instants suspendus, il n'était pas nécessaire d'en exposer une grande...

le 17 févr. 2023

1 j'aime

Prisoners
ManonBellah
8

Peine de bagnard

Dans Prisoners, Denis Villeneuve manie le tortueux sentiment de vertige. Meurtre ? Kidnapping ? Réseau ? Le récit est une proposition d'immersion auprès des familles bouleversées par la disparition...

le 14 juil. 2023