-Un film d'auteur de Godard. Enième revisionnage et grand plaisir, c'est beau poétique irrésistible et émouvant à pleurer même parfois, avec ce sens du grandiose que Godard a su développer petit à petit, et ses mille-et-une inventions à la fois ponctuels et structurelles qui ne manquent jamais de souligner un esprit pétillant et toujours producteur de poésie; petit exemple très simple et très concret : On voit une scène d'action avec des fusils, puis on voit une femme de ménage entrain de travailler, puis une scène d'amour. Donc, action/travail/amour, trois scènes qui n'ont rien à voir l'une avec l'autre au niveau de la sensation, or, ces trois scènes s'enchaînent en 10 secondes. Je dis bien : 10 secondes. Chez n'importe quel autre cinéaste ça demanderait au moins 20 minutes, au bas mot, et encore celui-là serait le plus rapide de la bande. Là est la contradiction de Godard : Le mélange entre le classicisme de l'image/son (on voit un palace, on entend du violon) d'un côté, et de l'autre, l'anti-classicisme de la narration et du personnage, car il n'y'a pas de narration chez Godard (ce n'est qu'une parodie développée), et il n'y'a pas de personnages non plus (qui ne sont que de simples marionnettes qui sont là pour figurer des émotions ou dire tel texte à tel moment, des modèles post-Bressoniens en somme, encore plus modernes car encore plus dilués et encore plus inconsistants à l'intérieur de la structure du film qui prime sur toute autre chose); ces deux éléments de mise-en-scène, ô combien essentiels consciemment et inconsciemment, sont éclatés sous forme de fragments, ils sont rétrogradés et relégués au niveau de simples thèmes, presque au niveau de décor disons; et, tous les cinéastes qui veulent faire du Godard, c'est bien gentil tout ça mais ils oublient que chez Godard, il n'y'a ni narration ni personnage, et, c'est justement parce que ces deux éléments manquent cruellement, que les films de Godard sont perméables à la poésie et à la métaphysique, c'est ce qui leur donne de la valeur, parce qu'il y'a ces deux trous stratégiques, cela dit percés dans une trame audio-visuelle Tarkovsko-Beethovinienne, épaisse et classique, et qui sont fait exprès par l'artiste.


-Comparons maintenant avec un Garrel par exemple, au hasard : Dans tous les films de Garrel il y'a des personnages et il y'a une histoire, dans des films comme Le mépris ou Pierrot le fou de même il y'en a aussi par exemple mais on pourrait en citer trois mille même, or, c'est une faute de goût; car, si on veut faire du "cinéma-libéré", si tant est que ça existe ce que je ne crois pas (le film d'auteur n'est qu'un genre comme un autre après tout), alors il faut continuer jusqu'au bout et supprimer purement et simplement ces deux éléments qui sont les deux éléments les plus anti-libérés et les plus réactionnaires idéologiquement parlant qu'on puisse imaginer, car, si on part du principe qu'un auteur surplombe par son regard libéré un monde qui n'existe plus que secondairement en dehors de lui (définition de la modernité), alors la notion de personnage aussi ne doit pas exister, dans ce cas, ni celle d'histoire non plus, et là ça devient intéressant, là on parle comme des hommes ! Qui est cohérent jusqu'au bout et qui joue au petit malin ? This is the question, et this is the question fatidique au moment de voir puis au moment de juger. Le Godard de Prénom Carmen est cohérent, ultra cohérent, le cinéaste casse tout, il ne s'arrête pas en si bon chemin comme le font les autres ou comme il le faisait lui-même auparavant, et on s'aperçoit au passage qu'il est bien difficile de tout casser, parce que, encore une fois, quand on veut tout casser il faut d'abord se casser soi-même, casser son propre personnage (et hop, voilà qu'on revient tout à coup à Chaplin finalement hein, le très vieux et moderne cinéma de Chaplin qui contenait déjà secrètement celui de Godard, charmante idée n'est-ce-pas...), casser son propre statut, poser son propre statut comme incertain, c'est-à-dire filmer sa propre mort, superposer sa propre mort sur sa propre vie, le négatif au positif (le méchant au gentil, et voilà qu'on revient au western qui contenait lui aussi déjà Godard secrètement, ou au film d'action...), et donc, par là, se contredire! Car tel est le geste artiste, le geste métaphysique, le beau geste, qui seul demeure à travers la postérité, et que Godard aura su maîtriser dans son propre genre et dans sa propre discipline, celui du film d'auteur, comme nous le prouve ce Prénom Carmen que j'aime d'amour, et dont j'aime tant et tant en dire encore et encore le plus grand bien ! Un des plus beaux films des années 80 assurément.

-Une phrase du film : "Faut chercher mon vieux, faut chercher !"

renardquif
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le 8 mars 2023

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