Directement en DVD, Prédestiné à être un navet?

Par OhCaptainMyCaptain.

« Ne faites jamais hier ce qui devrait être fait demain. Si vous réussissez, ne réessayez jamais. » Le principe évoqué dans le film a sûrement été adapté par votre rédacteur, tant cette critique s'est faite attendre !



Predestination. Un film sorti directement en DVD/Blu-ray, sans passer par la case cinéma, une première pour l'Agence Touriste. Considéré comme le « Looper » australien, et portant sur le voyage dans le temps, dont je suis un grand dévoreur grâce à son mentor donc, mais aussi par la sérié télé bien connu des geeks qu'est Doctor Who, je me devais de voir le film, adapté du roman Vous les Zombies de Robert A. Heinlein, sorti en 1959 et considéré comme une référence de l'anticipation mindfuck. Par contre, une pique aux producteurs avant même de rentrer dans le film. Sérieusement, un film pareil, à sortir pendant la période des fêtes? Objectivement, même en grand fan de grands films de réflexion, qui a envie de se prendre la tête à Noël en regardant un film?

Alors, mérite-t-il son titre d'héritier du chef d'oeuvre de Rian Johnson, ou n'est-il que peu surprenant qu'il ne soit pas sorti dans les salles obscures ?



Difficile de s'étendre sur le scénario cette fois sans trop vous spoiler, vous, lecteurs innocents qui n'avaient pas encore vécu l'expérience de ce film. Predestination retrace l'histoire d'un agent temporel (Ethan Hawke) d'une agence gouvernementale secrète chargée de refaçonner les crimes pour les éviter, ou, tout du moins en limiter les effets, le Bureau. L'histoire, pas tout à fait, puisque le film se concentrera sur sa dernière mission, son dernier essai pour arrêter « Le Plastiqueur Pétillant » (The Fizzle Bomber), criminel qui fera exploser une bombe en plein New York en 1975, ce qui provoquera des milliers de morts. C'est alors que fait irruption un potentiel suspect, "John" (Sarah Snook), au cours de son infiltration.



Sans mauvais jeu de mot, le film Predestination aura l'effet d'une bombe à tout spectateur qui osera s'y aventurer. Même si le film restera plus clair que Looper dans sa mécanique, le film est une course-contre-la-montre remplie de twists et de retournements de situations plus what-the-fuck les uns que les autres. Plus clair que Looper puisque cette fois la mécanique du voyage dans le temps, bien que non autant expliquée, se posera sur des bases plus compréhensibles, puisque les voyages dans le temps s’exécuteront via des sauts dans le temps, grâce à une machine dissimulée dans un étui à violon. Pour ceux qui se posent la question, la mécanique se rapproche plus de ce qu'on peut voir dans Doctor Who, plutôt que le système des boucles temporelles. Ce qui éclairera les plus geeks d'entre vous, et gardera la surprise aux plus profanes. Bien entendu, ma première critique sera là, puisque plus simple, la mécanique gardera moins de surprises que ce que les autres systèmes de voyage dans le temps peuvent proposer, créant chez les plus aguerris un sentiment de frustration (notamment sur la question de l'origine). Mais cela permet de ne pas perdre le grand public, donc pourquoi pas, d'autant plus que le scénario l'exploite à merveille et ne crée que très peu de paradoxes temporels (pourtant inévitables dans ce genre de film).



Malheureusement, malgré cela, le film souffrira, comme ce fût le cas pour Looper (désolé d'y revenir, mais tant les films sont similaires, la comparaison est difficilement évitable, au risque de ne trop vous en dévoiler), quelques problèmes de montage sont à déplorer, ce qui crée parfois des problèmes pour le spectateur de savoir exactement à quelle époque il se situe. Dommage également que le film ne propose au spectateur que très peu d'informations sur le voyage en tant que tel, sa création tout du moins. La réflexion vaut également pour le Bureau, qui reste des plus énigmatiques. Il faut toutefois nuancer ces propos. Ici, c'est clairement un choix des réalisateurs pour plonger encore plus le spectateur dans l'incompréhension vis-à-vis de ce qu'il voit!



Concernant la réalisation, le petit budget du film se remarque malheureusement de temps en temps, puisque certains effets spéciaux laissent à désirer (notamment l'explosion dans les premières minutes du film). Au delà de ce petit reproche, on ne peut que saluer le travail des équipes de maquillage, puisque les prothèses, aussi bien de blessures que de camouflages, sont criantes de réalisme, à croire que les équipes se sont passées le mot avec Un Illustre Inconnu (voir la critique de Tyler à ce propos). La réalisation des sauts dans le temps est vraiment bien réalisée et minutée, et l'impact physique sur les personnages faisant le grand saut se fera ressentir sur l'appréhension du public, un régal. Si on ajoute à cela une émotion parfaitement gérée sans tomber dans le sentimentalisme à deux balles, le spectateur ressort vraiment tout retourné de l'expérience. D'autant plus que la caméra insiste sur ce caractère réaliste, parfois avec un regard voyeuriste, voire même glauque.



Ce qui est plus fâcheux, c'est que le film est peut être un peu trop lent à la détente. Pendant un bon tiers du film, on se demande vraiment où le réalisateur veut en venir, puisqu'il semble s'éparpiller dans des détails qui semblent futiles. Les amateurs de sensation forte risquent de vraiment s'ennuyer ! Mais le film se lance réellement au bout de 40 minutes, tout finit par se construire lentement dans la tête du spectateur. Les réalisateurs se permettent même de se jouer de nous en multipliant à partir de ce moment-là des fausses pistes pour les petits malins qui voudraient anticiper la fin du film. Et vraiment, il est quasiment impossible de se douter de ce qui finit par arriver, et la claque nous attend au tournant. D'autant que les sensations fortes débutent enfin, et devant la montée d'adrénaline portée par une musique zimmerienne puissante et vraiment exceptionnelle, il faut pouvoir garder la tête froide pour comprendre ce qui se passe .



Les frères Spierig, via un scénario complètement débridé et mindfuck mais plein d'émotions, se permettent une belle réflexion sur l'acceptation de soi-même (notamment à l'adolescence) et sur toutes les étapes d'une vie, sur sa propre maturité... Et sur la mentalité qu'on peut avoir à chaque âge, ce qui n'a pas manqué de questionner Captain sur sa condition d'homme hors-du-temps et de garant de valeurs qui peuvent parfois paraître dépassées de nos jours !



En ce qui concerne les acteurs, Ethan Hawke a vraiment été une révélation dans son rôle d'agent temporel. Hormis dans Bienvenue à Gattaca et Le Cercle des Poètes Disparus, il nous avait plutôt habitué à des films d'action superficiels et à des comédies romantiques . Et là, vraiment, sa prestation est remarquable. Il montre qu'il peut tout jouer, bien aidé par sa fonction d'agent en planque il est vrai. Mais jouer aussi bien un barman américain extraverti des années 70, tout en humour, puis en agent tantôt sans montrer d'émotions (fonction oblige) tantôt détruit de l'intérieur, dégoûté par ce qu'il peut finir par faire au nom du Bureau, c'est une prouesse de sa part, vraiment. Si le film est aussi réussi, c'est en grande partie grâce à sa prestation. C'est aussi avec grand plaisir qu'on retrouve Noah Taylor, qui avait déjà brillé en 2014 dans Edge of Tommorrow en ingénieur visionnaire et dans Games Of Thrones. Ici, il campe un fonctionnaire tout en sobriété mais tout en malice aussi. Enfin, au rang des petites nouvelles dans le cinéma occidental, Sarah Snook. Elle semble au prime abord peu crédible dans sa version jeune, notamment dans sa difficulté à jouer une jeune fille puis jeune femme mal dans sa peau (ce mal-être intérieur perpétuel, sans tomber non plus dans la dépression), et pas gâtée dans la vie, alors que c'est une femme loin d'être difficile à regarder, il faut l'avouer. Mais elle réussi finalement à se sublimer dans la seconde partie de l'interprétation de son personnage, dans un réalisme spectaculaire et plein d'émotion.



Il est vraiment difficile d'expliquer pourquoi ce film n'est pas sorti dans nos salles françaises. Si ce film labyrinthe n'est clairement pas à mettre dans toutes les mains, notamment par sa puissance symbolique, la complexité du voyage dans le temps, et sa lenteur certes nécessaire mais pas du goût du grand public, on ne peut que saluer le magnifique travail des Frères Spierig dans l'adaptation du roman de science-fiction qui s'apparentait à tout sauf à une partie de plaisir. Une course-contre-la-montre bourrée de twists, haletante, magnifiquement réalisée, et pleine d'émotions. Une vrai claque.
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le 20 janv. 2015

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