Powaqqatsi
7.1
Powaqqatsi

Documentaire de Godfrey Reggio (1989)

Le film nous propose une succession d'images très belles mais il a de quoi énerver.
On connait le discours sous-jacent: Godfrey Reggio nous dit qu'il nous montre que des images, qu'en n'intercalant aucune parole il nous permet de nous faire notre avis et notre interprétation de ce qui se passe sur cette planète. Mais désolé Godfrey la simple juxtaposition de deux images produit du sens dans des directions infinis. Et plus tu montes, plus tu sélectionnes, plus tu juxtaposes, plus tu orientes le sens de ton film. Certes le film reste très ouvert mais il ne faut pas non plus se faire d'illusions.
Le film porte bien un discours et ce discours a de grandes limites. D'abord le regard se complait dans une posture contemplative malsaine. A ne pas vouloir faire de politique, à ne pas vouloir juger certaines des horreurs qu'il nous montre, à commencer par le travail des brésiliens dans la mine au début du film, Reggio laisse le spectateur dans la facilité de sa position distanciée. Par ailleurs cette équivocité qu'il veut laisser aux images finit par accroitre la dimension esthétique du long-métrage au détriment des idées que les images peuvent susciter. Ce film porte donc un risque non négligeable: esthétiser la souffrance.
On peut rattacher ce défaut au biais occidental et bourgeois du regard. Attention ce n'est évidemment pas parce qu'un regard est occidental et bourgeois qu'il est à rejeter. Mais en l'occurrence cette subjectivité occidentale risque de dissimuler la vérité. Face aux limites de nos sociétés, et depuis l'échec de tous les mouvements et les idées critiques, il est devenu courant depuis quelques décennies d'idéaliser l'étranger au sens large. On pense que c'était mieux avant et que c'est mieux ailleurs. On s'imagine que les danses tribales des africains c'était finalement plus authentique. Bon premièrement c'est faux, deuxièmement c'est mensonger. Retranscrire cette vision idéalisée des sociétés non européennes c'est non seulement dissimuler leurs limites mais surtout les uniformiser, leur retirer leur véritable nature. Or le film met dans le même sac des pratiques sociales, des arts, des rites, des techniques qui n'ont rien à voir. Indistinctement ce sera la cordillère des andes, l'afrique subsaharienne, le monde arabe, l'asie du sud-est...etc Le film oppose un ici fantasmé à un là bas complètement inexistant. Si le congo et le laos peuvent être presque confondus c'est seulement par leur caractère d'ailleurs, de "là-bas" vis à vis des pays occidentaux.


Esthétisation et occultation de la réalité du tiers monde: le film souffre des limites du regard du réalisateur et surtout de l'absence de retour critique sur ce regard. L'ethnologue ou l'anthropologue par exemple mettent au coeur de leur démarche d'apprentissage sur des réalités qui leurs sont extérieurs (pays mais aussi groupe social, contre-culture, milieu au sens large) un retour critique sur ce qu'ils deviennent au contact de l'altérité et sur le filtre qu'ils constituent sur la voie de la connaissance de ces altérités.


Pourtant Powaqqatsi mérite le détour. Pas seulement en raison des images qui en elles-mêmes sont intéressantes mais aussi par le parti-pris de Reggio. Cette subjectivité un peu maladroite qu'on trouve dans le film nous montre une réalité que l'on doit observer.
Powaqqatsi signifie dans la langue hopi une sorte de parasite. Or s'il y a un parasite dans les images qu'on nous montre c'est bien le capital.
Une lecture encouragée par le film consisterait à s'en prendre à la technique et à la superficialité et l'aliénation qu'elle a porté du monde occidental vers tous les ailleurs. Mais quand on regarde bien les images on s'aperçoit que malgré la grande beauté qu'on trouve dans ces vies non-occidentales il y a des souffrances que le mode de production capitaliste a permis de réduire : une grande partie de la difficulté au labeur que l'on voit dans le film s'explique par l'absence de moyens techniques susceptibles de les faire disparaitre. Par l'ouverture qu'il s'est quand même ménagé Powaqqatsi montre l'ineptie d'une critique seulement axée sur la technique. Certes la technique a impliqué tout un tas de violences mais ce n'est pas en tant que technique qu'elle l'a fait.
Ce qu'on voit au contraire c'est le capital comme finalité des activités économiques et techniques. Ce qu'on voit c'est que dans les sociétés marchandes, dans le mode de production capitaliste, les hommes sont condamnés à souffrir pour produire des objets qui leur font du mal. Et historiquement, ça aurait pu être autrement mais ça n'a pas été le cas, le capitalisme s'est étendu au monde entier par l'intermédiaire de l'expansion impérialistes des états occidentaux.
Alors oui l'occident a détruit les cultures non européennes, oui les objets techniques sont aujourd'hui bien souvent complètement inutiles par rapport à ce qu'ils demandent comme travail. Mais si tel est le cas, et le film le montre malgré lui, c'est parce que ce qui s'est exporté aux dépends de l'humanité entière c'est le rapport social capitaliste (cf. http://www.palim-psao.fr/2016/03/karl-marx-le-capital-tome-i-en-pdf.html).


Le film a bien d'autres richesses que ces questions sinon.

DaimyoNitsu
8
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le 31 oct. 2019

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DaimyoNitsu

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