Et ils finiront par être des français, à notre image, la meilleure comme la moins bonne. Combien d'entre nous comptent parmi leurs ascendants un aïeul ou même deux d'origine étrangère dont la trace se perpétue dans nos patronymes. Qu'il s'agisse de ce bisaïeul venu du Portugal et qui conta fleurette à votre ancêtre auvergnate, qu'il s'agisse de Carmen et de Pedro qui ont traversé les Pyrénées les soldats de Franco à leurs trousses, de Matteo et de Giorgia venus de Ligurie pour cueillir le jasmin pour nos parfumeurs de Grasse, de Chiara née en France de parents napolitains ou friolans venus en Lorraine comme ouvrier maçon et femme de ménage (1), nous sommes leurs descendants désormais français de souche et non plus seulement de branche.

En Lorraine et dans certains départements des Hauts-de France, il suffisait d'ouvrir un annuaire de téléphone du temps où il existait encore pour voyager de Katowice, à Poznan et Cracovie, de Kirovohrad à Kiev en passant par Vinnista. De ces terres lointaines, nous n'avons plus que des souvenirs de gastronomie et de traditions culinaires dont l'origine véritable finit par être oubliée. Qui donc douterait un instant de la loyauté nationale d'un seul d'entre eux, d'un seul d'entre nous, sinon quelques esprits ignorants et haineux qui ont fait de la xénophobie leur viatique et même leur fond de commerce.

Adil et Nadia Saïdi sont parents de deux garçons Ismaël et Aïssa d'une dizaine d'années et Nadia est enceinte, nous le saurons plus tard, d'un troisième garçon. Adil /Samir Guesmi est gendarme en Algérie à un moment troublé de l'histoire du pays quand le GIA tentait d'imposer sa loi à la population algérienne. Le couple ne va pas bien, la vie est difficile et les lendemains incertains ; Nadia/Lubna Azabal quitte le domicile conjugal avec l'intention de partir en France afin d'assurer un avenir plus serein à ses enfants.

En France, les enfants grandissent. Nadia fait sa vie ; Ismaël/Karim Leklou vit d'expédients en flirtant régulièrement avec l'illégalité ; Aïssa/Schaïn Boumedine fait un master en science po et passe le concours de recrutement pour l'Ecole spéciale militaire de Saint-Cyr Coëtquidan.  Une séance nocturne de bizutage, qu'à Saint-Cyr on appelle bahutage, tourne mal et Aïssa y laisse la vie. Une enquête de commandement révèle qu'il n'y a pas simplement erreur d'appréciation des organisateurs du bahutage mais faute avec dissimulation, par les condisciples organisateurs, de la réalité des épreuves imposées aux « bleus ».

La grande muette est soucieuse de protéger la réputation et l' image de sa prestigieuse école. Elle est prête à décider quelques accommodements avec la vérité pour ce faire. Ainsi fonctionnent bien des institutions et le réalisateur du film Rachid Hami en parle avec une grande sobriété sans chercher à stigmatiser l'armée dans laquelle Jallal Hami avait choisi de servir. Jallal Hami est ce jeune sous-lieutenant qui est mort en 2012 dans les circonstances évoquées par le film. Jallal Hami sous le nom de Aïssa Saïdi est un des deux frères du réalisateur du film.

Il y a en fait deux strates en interaction dans ce film: la relation de la famille avec les autorités militaires, mais également l'histoire d'une famille d'immigrants venue d'un ancien département français du temps où l'Algérie était une colonie française. La seconde partie est somme toute la plus importante, me semble-t-il, comme si Rachid Hami avait voulu faire un film sur sa famille et les tensions qui la traversaient depuis toujours et que la tragédie de la mort d'un frère aimé avait un effet de catharsis pour toute la famille.

Les relations de l'aîné Ismaël avec son puîné Aïssa ont toujours été difficiles et conflictuelles en raison sans doute d'une préférence marquée et surtout exprimée pour le second par un père rigide et autoritaire. Désormais, Ismaël devient en quelque sorte l'incarnation de l'Histoire familiale dont la caméra du cadet offre la révélation.

Pour la France de Rachid Hami est un film apaisé et d'une grande sobriété. Il est un document, cinématographique en l'occurence, à verser dans le dossier tourmenté de nos relations avec ceux qui sont venus un jour faire France avec nous.

(1) ou des grands-parents de Alain Ughetto qui raconte leur histoire et signe un beau Interdit aux chiens et aux italiens actuellement sur les écrans.

Freddy-Klein
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le 24 mai 2023

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Freddy Klein

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