L'action a beau se dérouler dans les Ardennes de 1917, ce n'est pas un film de guerre, mais un film de procès. Ce sont la loi et la justice, — la distinction importe, — qui sont au cœur de "Pour l'exemple". C'est donc un film à dialogues, d'autant plus qu'il est adapté d'une pièce. Il n'est d'ailleurs guère étonnant de retrouver la triple unité du théâtre classique : vingt-quatre petites heures dans une tranchée où se prépare un procès pour désertion. Le tout sur des thèmes classiques du cinéma judiciaire : la bonne foi, la mauvaise foi, l'intégrité et l'intime conviction, la partie plus ou moins jouée d'avance, les tribunaux prêtant aux accusés leur propre façon de raisonner, l'étau de la loi qui se resserre et se desserre au rythme d'une respiration,
D'un côté l'innocent, dans un sens bien large, que son innocence rend coupable ; de l'autre l'avocat qui semble incertain de la cause à défendre. Au début du film, une magnifique séquence muette sans personnages, prouesse cinématographique et preuve qu'on peut filmer sans ennui un monument aux morts ; à la fin, un sommet d'intensité émotionnelle, d'autant plus marquant qu'il tranche avec la pauvreté des moyens déployés. Entre ces deux personnages, entre ces deux seuils du film, d'assez bons dialogues, plus remarquables pour leur réalisme que pour leur brio, et qui soutiennent une tension permanente, pour peu que l'on apprécie les films bavards.
Pour faire des minutes d'un procès une œuvre à part entière, le réalisateur s'est appuyé sur les fondements du cinéma : comédiens et réalisation. Dirk Bogarde et Tom Courtenay sont excellents de bout en bout. Et surtout, Joseph Losey lui-même a appris à filmer et à construire un récit. Il maîtrise à la perfection l'art de faire respirer un huis clos sans faire retomber le soufflé — et à cet égard l'épisode du procès du rat est une merveille. Il sait dans quels cas un zoom, un travelling, un plan rapproché, un reflet filmé dans un miroir, n'apporteraient rien, et n'utilise ces procédés que lorsqu'ils renforcent le propos et l'esthétique du film. Losey est un de ces virtuoses du cinéma qui savent qu'en mettre plein la vue au spectateur n'est pas un impératif. "Pour l'exemple" est anti-baroque, mais fort efficace.