La société du soleil couchant

Et si on se débarrassait de nos vieux histoires de faire des économies ?

Voilà une idée que l'on peut très souvent entendre en particulier lorsque la question de la retraite est abordée. Si en France le vieillissement de la population commence tout juste à se ressentir, le Japon en a conscience depuis bien longtemps.


Dans un pays où l'on prévoit un manque de main d'œuvre de 6.44 millions de travailleurs d'ici 2030, avec une diminution d'environ 430 000 personnes par ans, il est évident que le pays se doit de trouver des solutions. Coincé entre une espérance de vie et la durée des études qui s'allongent, le gain d'autonomie des femmes, le peu de naissances hors mariages et des organisations religieuses, à l'influence non négligeable comme en témoigne l'assassinat d'Abe Shinzo, prônant le maintien des valeurs traditionnelles, il est évident que le pays de doit de tout essayer : mesures fiscales de promotion des revenus des ménages, permettre aux femmes de concilier travail et famille ou encore de soulager les hommes d'obligations professionnelles excessives. Mais que faire si cela ne marche pas ? (ce qui semble par ailleurs être le cas)


Le film se place dans un futur proche, soyons fou et disons 2030, où le vieillissement a atteint un tel seuil que le gouvernement n'a d'autres solutions que de lancer le Plan 75, un programme incitant les personnes de plus de 75 à s'euthanasier contre une coquette somme afin de leur permettre de réaliser leurs dernières envie. Avec le succès qu'il le connaît, le programme est également rendu accessible aux 65ans, âge qui coïncide étrangement avec l'âge de départ à la retraite "recommandé" par le gouvernement...

Tous les problèmes et contradictions auquel le Japon fait face sont réunis. Les vieux sont nombreux, très nombreux, mais sont également de plus en plus seuls. Ils sont bien souvent déconnectés de leur famille, comme le montre Hiromi retrouvant par hasard son oncle Yukio qu'il avait perdu de vu depuis longtemps ou encore Michi aimée de tous à son travail mais qui, une fois parti, ne voit plus personne.


On peut y voir aussi une critique de la migration des travailleurs inexpérimenté, qui est un plan lancé courant 2010 pour permettre au Japon de faire venir de la main d'œuvre sud-asiatique pour qu'elle fasse les tâches ingrates (ce que l'on appelle les 3k : きつい 汚い 危険, dur sale dangereux). On comprend que la majorité des employés du centre sont des immigrés, à la fois par le personnage de Maria mais également lors de la visite du centre aux employés où le directeur explique le déroulement de l'euthanasie en anglais. La critique est ici forte, lorsque la société libérale atteint son paroxysme en réussissant à traiter les individus comme de simples chiffres - critique que l'on retrouve dans Le voyage de Chihiro - jusqu'à la mort (comme en témoigne les lis du centre qui n'ont que des numéros et non des noms) serons nous rendus à traiter les corps de nos familles comme de simple déchets ? Hiromi se rend compte de l'horreur de cette chose, décidant alors de réaliser de vraies funérailles pour son oncle.


Les barrières sociales restent solides jusqu'à la fin, et la constante neutralité des interlocuteurs est nécessaire. Même lorsque l'on est sur le point d'être euthanasié, le Keigo - langage honorifique - est de mise et le temps d'interaction est minuté, 15min pas plus. Notre interlocuteur, chargé de savoir comment l'on vit notre décision, ne nous parle que part téléphone et se content de poser des questions pré-écrites : ce n'est qu'un service après-vente comme un autre.


La difficulté à trouver un travail pour les personnes âgées est également présentée. On a beau mettre en avant le manque de travail et la simplicité à trouver du travail, les personnes âgés sont dans l'impossibilité de trouver du travail, alors que le système de retraite japonais se fait par accumulation. C'est par une scène aussi comique que triste que Michi se rend compte qu'aucun travail n'est disponible pour elle, pensant alors que l'ordinateur est cassé, elle appelle à l'aide et on lui explique que "non, il n'est pas cassé". Ce genre de situation paradoxale me rappelle toujours Henri Ford clamant haut et fort que si les gens veulent du travail ils n'ont qu'à venir, alors que dans le même temps il licenciait par centaines.


Petit coup de cœur pour la scène où Hiromi essaye de déterminer quel type d'accoudoir conviendra le mieux en tant que mobilier anti sdf, car, même s'il faut à tout prix relancer l'économie japonaise et trouver de la main d'œuvre, il est hors de question de le faire avec des SDF qui n'ont qu'à se bouger un peu pour trouver du travail s'ils en veulent vraiment un ! Ou encore la scène où Michi est dans le bus pour se rendre au centre où elle doit se faire euthanasier. Mais également celle où Michi fait la circulation des bus : un long plan sans réelles action, sans paroles, juste le beau à l'état pure. J'avais la gorge noué sur ces scènes !


Un film touchant, aux plans travaillés et esthétique dont le calme et la sérénité viennent contrebalancer le sujet plus que dystopique.


Kanpe
8
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le 4 mars 2024

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