Les bases du film sont tout simplement excellentes. A l’époque de la pellicule, quoi de plus commun que les officines proposant de développer les photos pour confectionner les fameux albums souvenirs. Pratique sur le déclin avec l’avènement du numérique, mais qui se révèle encore pleinement d’actualité pour les aficionados de la pellicule. En l’état, Photo Obsession est un film qui feint la psychopathie, cette dernière étant tout sauf spontanée. C’est même son problème d’ailleurs, car elle instaure une distance entre nous et le personnage principal, pourtant au cœur de l’intrigue, et dont les sentiments nous touchent. Mais difficile de dire pourquoi, le réalisateur voulait donner un penchant méchant à l’histoire, quitte à sauter beaucoup d’échelons dans la gradation de la violence, pour culminer face à un Robin Williams armé d’un couteau de chasse qui détruit finalement tout ce en quoi il croyait, dans une folie certes bien jouée (la performance de Williams est impeccable), mais clairement disproportionnée vue la carrure du personnage (déjà, vu son absence totale de recours à la violence, le couteau est une erreur impardonnable). Photo obsession, c’est donc une fin ratée, et quelques fautes de goûts formelles (nombreux décadrages, filtres de couleur pas très appropriés). Mais le contexte psychologique est finalement à l’égal d’un Willard, ou d’un Voyeur de Michael Powell. Beaucoup pourraient citer Hitchcock dans cette approche très psychologique du quotidien, et l’approche très tranche de vie du métier de développeur photo. Les profils des différents clients (dont les pornographes amateurs, traités avec la même bienveillance et soucis de qualité que les jeunes mariés et leurs photos de bébés braillards), la technique de développement, le souci de qualité… Sy Parish nous fait l’éloge de son travail, pour ainsi dire sa raison de vivre. Car la vie de Sy est bien vide en dehors du boulot. Employé dans un supermarché où le chiffre passe avant le soin, résident d’un appartement vide où la télé diffuse les Simpsons (connotés ici comme une parodie de la dégradation des liens familiaux), Sy n’a aucune récréation.

Et comme support affectif, il a placé tous ses espoirs dans une famille banale, dont chaque rouleau de pellicule lui apporte une joie quotidienne. Les détails des fêtes d’anniversaire, les joies des voyages familiaux, le bonheur animant la maison… Chaque tirage illumine ses journées, et faisant régulièrement des copies, il collectionne dans son appartement les photos de cette famille modèle, qu’il n’a jamais pu avoir dans la vraie vie. Photo Obsession, c’est un film sur l’attachement naturel d’une personne seule à l’idéal qu’il n’aura jamais, et dont il se déclare l’observateur bienveillant, souhaitant apporter sa contribution à leur bonheur. Toutefois, le film n’approuve jamais son personnage principal (toujours cette distanciation avec l’ambiguité, alors que les sentiments sont limpides et les attentes purement affectives) dans son attachement, alors que celui-ci se révèle être purement désintéressé, et que les sentiments de Sy sont toujours mis en avant. Aussi, quand Sy découvre l’infidélité naissante (la maîtresse du père de famille apporte ses photos à développer), son univers vole en éclats, et sa détresse s’aggrave quand il est licencié pour avoir imprimé des doubles de photos par centaines. Commence alors le harcèlement moral de la mère, à laquelle il envoie les photos de l’infidélité, et qu’il commence à suivre lui-même pour guetter ses réactions. Utilisant pour seule arme un appareil photo, le film tenait jusqu’ici la route. Puis Sy s’empare d’un couteau, traque le mari juste sur le lit de l’adultère pour lui faire la morale… La distance a l’air d’atténuer la légitimité de l’attachement de Sy à la famille, mais en cherchant toujours à expliquer ses réactions, à croire qu’il ne se fait pas confiance dans l’exposition des sentiments (si on est seul, n’est-il pas normal de tout transposer sur un idéal, même banal ? Et sa disparition est-elle moins douloureuse ?). Des hésitations rageantes pour un film possédant un potentiel certain, que les erreurs limitent hélas à un simple thriller psy de modeste envergure.
Voracinéphile
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le 11 nov. 2013

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