Peur Sur La ville est l’archétype et le vestige d'un certain cinéma populaire français de qualité comme il n'en existe malheureusement plus trop aujourd'hui. Un film capable de fédérer le grand public et les cinéphiles autour d'une notion de cinéma à la fois accessible et divertissante tout en proposant de nombreuses qualité purement cinématographique. Sorti en 1975 et réalisé par Henri Verneuil, Peur Sur La ville sera un immense succès en salles et marquera d'une franche réussite la cinquième collaboration entre le réalisateur et Jean Paul Belmondo après Un Singe en Hiver , Le Casse, Cent Mille Dollars au Soleil et Week-end à Zuydcoot. Près de cinquante ans après sa sortie le film reste toujours aussi agréable, n'accusant pas trop le poids des années jusqu'à devenir un véritable classique du cinéma.

Peur Sur La ville nous raconte l'histoire d'un flic parisien qui doit arrêter un tueur en série psychopathe qui s'en prend à des jeunes femmes, qu'il tue le plus souvent après un harcèlement téléphonique. Plus porté vers l'action et l'adrénaline que l’investigation notre flic va pourtant devoir enquêter surtout que le tueur qui se fait appelé Minos ne cesse de le provoquer par téléphone ou par presse interposée.

Peur Sur La Ville est un très bon polar qui conjugue dans sa réussite collective un beau paquet de talents. Le scénario écrit par Henri Verneuil et Francis Weber est aussi et peut être surtout l’œuvre de Jean Laborde écrivain et spécialiste du polar a qui l'on doit les histoires de films tels que Un Si Joli Village, Adieu Poulet, Le Pacha ou Les assassins de l'Ordre. Déjà cité plus haut Francis Weber signe également les très bons dialogues du film permettant à un Jean Paul Belmondo plus gouailleur que jamais d'aligner les bons mots et les traits d'esprits avec un naturel confondant. Il faut aussi et bien évidemment saluer l’excellente et anxiogène bande originale du film signé par Ennio Moriconne qui donne à Peur Sur La ville quelques inquiétantes allures et sonorités de giallo à la française. Et puis le film s'appuie aussi sur un formidable casting qui en plus de sa prestigieuse tête d'affiche permet de retrouver Charles Denner même si son rôle de faire valoir de Bebel aurait mérité bien mieux et un tas de seconds rôles comme seul le cinéma français des années 70 savait nous en proposer avec Jean François Balmer, Roland Dubillard, Rosy Varte, Léa Massari, Francis Lax, Jacques Rispal ou Jean Martin, il semblerait même que la très belle Laura Antonelli y fasse de la simple figuration. Quant au tueur Minos qui marquera durablement les esprit avec son œil de verre et son sourire flippant il est interprété par un très bon acteur italien Alberto Maria Merli.

Outre le fait que Peur Sur La Ville soit un divertissement carré et diablement efficace dans lequel on trouve de l'humour, de l'action et du suspens le film est aussi le portrait flamboyant et devenu nostalgique aujourd'hui (du moins pour certains) d'un bon gros mâle alpha préférant l'action qui titille la testostérone plutôt que l'investigation qui titille les neurones. Le commissaire Jean Letellier (Jean Paul Belmondo) n'aime rien de moins que les courses poursuites en bagnole, les fusillades, les acrobaties sur les toits de Paris et lorsqu'il prend le métro c'est bien sûr debout sur le toit plutôt qu'assis sur un strapontin. Un homme d'action qui castagne et rentre dans le lard et qui ne cachera pas au début qu'il s'emmerde assez fermement et qu'il aurait bien mieux à foutre que de devoir interroger des bonnes femmes victimes d'un harceleur téléphonique. Quand on est adepte de tac tac badaboum l'investigation psychologique ressemble vaguement à une corvée de chiottes comme évoqué au détour d'un dialogue du film ; surtout si il faut partir chercher dans les livres sans images la signification du pseudonyme du tueur. Je caricature un peu certes mais en filigrane Peur Sur La Ville interroge une époque ou l'on commençait tout juste à parler de profil psychologique des tueurs et avoir une approche plus introspective que démonstrative de la notion d'enquête. Ce commissaire type vieille école se retrouve soudainement confronté à une nouvelle dimension de la criminalité en opposition avec sa vision presque enfantine du gentil policier héroïque poursuivant les méchants voleurs, ce qui est parfaitement symbolisé par son obsession à retrouver un braqueur de banque plutôt que de se focaliser sur son enquête. Le tueur psychopathe fait donc une entrée fracassante dans le cinéma français face à des flics jusque là bien plus habitués à jouer aux gendarmes et aux voleurs. La scène durant laquelle le commissaire Beaumont joue les garde du corps en planque dans l'appartement d'une jeune infirmière est un savoureux moment de pure comédie entre un type un peu rustre, trop bruyant et sûr de lui face à une jeune femme plus romantique et émotive mais qui ne se laisse pas faire. Tout le jeu sur les bruits qui font sursauter la jeune femme, leurs échanges tendus sur l’opposition entre virilité et romantisme sont assez jouissif et très amusants.

Et puis en revoyant Peur Sur La ville on pourra constater qu'il est parfois d'une clairvoyante acuité sur certains point comme lorsque Minos suit tranquillement entre radio et télévision les plans de la police allant jusqu'à repérer les snipers sur le toi d'en face (bien trop nombreux d'ailleurs). On est pourtant bien des années avant les chaînes d'informations en continue comblant H24 l'espace temps quitte à saborder une opération de police ou parler pour ne rien dire. On entrevoit aussi l'apport médiatique du forcément spécialiste en quelque chose qui vient ici nous expliquer que le petit Minos a sans doute connu quelques problèmes avec son zizi lorsqu'il était tout petit pour devenir aussi méchant par la suite… Le film d'Henri Verneuil préfigure donc avec quelques décennies d'avance les dérives de l'information de l'urgence et la théorisation de tout, avec les fameux consultants et spécialistes en tout genre. La thématique de l'information et de la médiatisation trouve aussi un écho dans le fait que le tueur utilise la presse pour narguer la police.

Peur Sur La Ville est un très bon polar, le film est certes le reflet de son époque mais il reste suffisamment moderne et intemporelle pour traverser merveilleusement bien le temps au point d'avoir gagné son statut de classique du genre. Du bon cinéma populaire tout aussi divertissant qu'intelligent, un film carré et efficace qui se regarde avec toujours autant de plaisir.

freddyK
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le 9 févr. 2024

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