A travers ce film, Radu Jude expose une nouvelle approche du devoir de mémoire. Grâce à une mise en abîme qui nous propulse dans l’organisation d’un spectacle sur le génocide juif et tzigane roumain de 1941, le réalisateur traite un sujet sociétal tabou dans son pays avec un recul et une légèreté surprenants, qui ne nuisent cependant jamais à la profondeur du message.


Jude dresse en effet ici le portrait d’une Roumanie s’épanouissant sur un passé sombre et inavoué. Le discours institutionnel, lorsqu’il ne flirte pas avec le négationnisme, se prélasse sur des pans plus ensoleillés de son Histoire. L’ombre pénible du devoir de mémoire paraît bien éloignée du glorieux passé des Daces. Elle ne pèse pas non plus bien lourd au moment de revêtir sa robe patriotique, dans une palette allant du martyr au héros national, au moment d’évoquer l’occupation soviétique et la révolution de 1989. Les conséquences sur le peuple oscillent entre un antisémitisme toujours d’actualité, une marginalisation des minorités (cf les plaintes contre les Tziganes), ou encore une idolatrie d’icônes fascistes comme Antonescu, dont on réalise l’étendue de la barbarie au cours d’un monologue d’une froideur glaçante, extrait de l’une de ses communications, et magistralement déclamé face caméra.


Côté esthétique, Jude nous confronte à un rythme assez paradoxal. Il multiplie les procédés stylistiques, qui alimentent une narration plus calme reposant notamment sur des dialogues millimétrés. Le film s’ouvre ainsi sur de sombres images d’archives du génocide. On en retrouvera ponctuellement sur toute sa durée, diffusées sur des écrans eux-mêmes filmés, sur le bruit de fond d’une discussion légère ou d’une imitation hitlérienne, rappelant la capacité du temps à soigner les maux de la guerre, sans pour autant les guérir. Un recul assez déstabilisant qui envahit tout autant lorsque Marina lit des extraits d’ouvrages sur les massacres, au cours de longs plans fixes étonnamment pesants pour l’intérieur d’un studio bobo.


S’en suivent alors une scène de casting en caméra embarquée, aux allures de making of; de longs plans séquences rythmés par des discussions passionnées; pour finir sur un climax : le spectacle, aux airs de cérémonie militaire, filmé à la manière d’une retransmission télévisuelle en direct. Ce sont ainsi plusieurs approches du même thème qui se succèdent sous nos yeux pour servir la narration, le traitant de manière plus légère sans pour autant nuire à sa profondeur et son intérêt sociétal. Mieux encore, ces procédés permettent à Ioana Iacob de briller dans son rôle.


Car il faut avouer que l’actrice se révèle bluffante dans son rôle empli de convictions. Elle se démène avec passion face à toutes les tranches de la société roumaine, qui ne tiennent pas à voir leurs mythes patriotiques si stables être bousculés. Une image parfaitement illustrée au cours de ce superbe échange de tirades avec l’intendant du spectacle, où la caméra pivote progressivement jusqu’à nous présenter Marina argumentant face à un vieil engin militaire, aussi figé et immuable que le rapport au génocide de la société roumaine. Des dialogues qui se doivent également d’être salués pour leur interprétation, et l’incroyable quantité de références culturelles qu’ils contiennent, passant aisément du clin d'œil à Kubrick à une reprise provocatrice du Paroles de Dalida dans une fluidité délicieuse.


Il paraît maintenant clair que j’ai beaucoup apprécié ce film, tant pour les connaissances d’un sujet méconnu qu’il m’a apporté, que pour la forme audacieuse par laquelle il les traite. Des Carpates à la Bessarabie, le folklore roumain semble décidément rempli de de monstres au penchant hémophile.

jeunegourmet
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le 6 mai 2021

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