En 2016 sort en Italie le film Perfetti sconosciuti, l’histoire de couples d’amis qui se réunissent pour un repas et qui décident de faire un jeu : tout le monde met son téléphone au milieu de la table et, lorsque quelqu’un reçoit un message, un mail ou un appel, l’un des convives doit répondre / le lire à voix haute. Le succès au box-office est au rendez-vous, le film devenant le plus gros succès local de l’année. En 2017 sort en Espagne Perfectos Desconocidos, un remake réalisé par Alex de la Iglesia (Balada Triste, Le Jour de la Bête). Même histoire malgré quelques changements, et là aussi le succès est immédiat. En 2018 arrive en France Le Jeu, un remake de ce même film, par Fred Cavayé (Mea Culpa, A Bout Portant). Trois fois le même film (à quelques modifications près) en l’espace de 3 ans. De là à dire qu’il n’y a pas que Hollywood qui est en manque d’inspiration, il n’y a qu’un pas. Mais bref, passons, là n’est pas le sujet. Nous allons nous intéresser aujourd’hui à la version espagnole. Pourquoi pas à l’original en premier ? Tout simplement car je ne comprends pas l’italien et qu’à ma connaissance, le film n’a pas encore été distribué chez nous. La version espagnole non plus me direz-vous… Oui, sauf que je comprends l’espagnol, ça aide. Et puis j’adore Alex de la Iglesia, ça pèse dans la balance.


Pour une fois, Alex de la Iglesia ne fait pas appel à toute sa tripotée d’acteurs fétiches pour sa nouvelle comédie. On retrouve bien l’excellent Pepon Nieto, vu dans Mi Gran Noche et Les Sorcières de Zugarramurdi, mais c’est le baptême de l’air « iglesiesque » pour tout le reste du casting. Malgré tout, le bougre a fait d’excellents choix. L’action se passe un soir de lune rouge (super lune + éclipse solaire) chez Eva, Belen Rueda (L’Orphelinat, Les Yeux de Julia), et Alfonso, Eduard Fernandez (El Niño, L’Homme aux 1000 Visages). Elle est psychologue, lui chirurgien esthétique. Ils ont un grand appartement et s’apprêtent donc à recevoir trois couples d’amis. Il y a tout d’abord Antonio, Ernesto Alterio (Enfance Clandestine, El Otro Lado de la Cama) et Ana, Juana Acosta (Anna, 7 Años), mariés depuis 15 ans, deux enfants, un couple en apparence bien sous tous rapports. Ensuite il y a Eduardo, Eduardo Noriega (Angles d’Atatque, Le Dernier Rempart), et Blanca, Dafne Fernandez (Entre les Jambes, L’Enfant Loup), les jeunes de la bande, fraichement mariés et accessoirement de vrais lapins en matière de sexe. Et puis il y a Pepe, Pepon Nieto (Mi Gran Noche, Les Sorcières de Zugarramurdi), ancien professeur de sport au chômage, qui vient finalement seul car sa petite amie est souffrante.
L’un d’entre eux, qui en a marre que les gens soient scotchés à leur téléphone, lance le fameux jeu. On met tous les téléphones au centre de la table, et lorsqu’un message / mail / appel arrive, on partage ça avec tout le monde. Moments de gêne, les piques fusent, les petits secrets pointent le bout de leur nez, les vérités éclatent, les quiproquos s’en mêlent, et forcement le tout dégénère dans l’humour noir et la mauvaise humeur.


Perfectos Desconocidos est un huis clos dans un appartement. Ou plutôt autour d’une table, lors d’un repas. Ce genre de film qui pourrait sans souci être adapté en pièce de théâtre, un peu comme Le Diner de Cons (1998) ou Le Prénom (2012), où tout tourne autour des personnages et de leurs échanges. C’est d’ailleurs la première force du film, son casting (d’où mon énumération dans le paragraphe précédent). Pas un acteur en dessous de l’autre, on frôle la perfection à ce niveau-là du début à la fin. Et des dialogues dont Alex de la Iglesia a le secret. D’abord légers, presque insignifiants, comme dans un début de repas, et puis plus ça avance, plus les tensions vont crescendo au fur et à mesure que la soirée part en cacahuète, et plus ça vire à l’humour noir. Le film ne cache jamais qu’il va déraper, l’équilibre est d’entrée de jeu très précaire, et les pétages de plomb prennent le dessus au moment où les vérités (ou pseudos vérités) tombent. Les différents caractères changent lorsque les protagonistes se retrouvent en difficulté, d’autres se révèlent complètement.
Le travail de De La Iglesia sur la direction d’acteur est tout bonnement génial. Les acteurs n’ont d’ailleurs pas été choisis au hasard. Belen Rueda et Eduard Fernandez formaient déjà un couple très crédible dans La Noche Que Mi Madre Mato A Mi Padre (2016). Juana Acosta et Ernesto Alterio sont en couple depuis 15 ans dans la vraie vie, comme leurs personnages, afin que de rendre leurs échanges encore plus naturels.


La réalisation de Alex de la Iglesia est comme d’habitude excellente. Il arrive à mettre beaucoup de dynamisme à des scènes pourtant extrêmement fixes vu que les protagonistes passent la majorité du film assis sur une chaise autour d’une table. L’ensemble est très efficace, parfois drôle, parfois touchant, avec bon nombre de rebondissements. Mais aussi parfois impertinent tant le film est une critique du monde connecté dans lequel nous vivons, cette addiction aux smartphones, où les téléphones portables sont devenus presque un membre à part entièrement du corps humain. Le film pose également plusieurs questions, comme par exemple les gens doivent-ils tout dévoiler de leur jardin secret ou seulement une partie? Faut-il blesser la personne avec qui on vit pour se rendre compte qu’on l’aime? En contrepartie, certaines idées du film pourraient être mal interprétées, dans le sens où certains pourraient y comprendre qu’il vaut mieux vivre dans le mensonge au lieu de tout avouer, quitte à détruire des vies lorsque la vérité éclate. Ou encore le fait qu’on ne connait jamais vraiment quelqu’un, et que cette personne qu’on croyait notre meilleur ami est en fait un gros enfoiré. Mais le « twist » final, même s’il laisse un peu perplexe par sa facilité, viendra corriger le tir, à moins d’être borné et de rester coincé sur l’ironie ambiante et l’humour noir du reste du film.
Il paraitrait que le final de la version italienne du film est bien plus fort et original, mais en soi, cette vision de Alex de la Iglesia est une bien belle réussite. A noter qu’en plus du remake espagnol, du français, un remake mexicain est en route..


Commençant comme un huis-clos léger pour virer petit à petit vers la comédie noire puis le drame, ce remake du film italien Perfetti Sconosciuti (2016) par Alex de la Iglesia est une belle réussite. Maintenant, il me reste à voir l’original italien ainsi que le remake français afin de voir lequel tire réellement son épingle du jeu.


Critique originale : ICI

cherycok
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 27 nov. 2018

Critique lue 1.7K fois

1 j'aime

2 commentaires

cherycok

Écrit par

Critique lue 1.7K fois

1
2

D'autres avis sur Perfectos desconocidos

Perfectos desconocidos
cherycok
7

Critique de Perfectos desconocidos par cherycok

En 2016 sort en Italie le film Perfetti sconosciuti, l’histoire de couples d’amis qui se réunissent pour un repas et qui décident de faire un jeu : tout le monde met son téléphone au milieu de la...

le 27 nov. 2018

1 j'aime

2

Perfectos desconocidos
Moizi
2

l'eau ça mouille... truisme/20

J'ai vraiment l'impression que le cinéma d'Alex de la iglesia m'indiffère au plus haut point. Seul El Bar était regardable dans le peu que j'ai pu voir de lui et franchement encore une fois ça ne me...

le 27 juil. 2018

1 j'aime

2

Perfectos desconocidos
Liani
7

Viser la lune

Seul Alex de la Iglesia pouvait rendre ce film intéressant. Une mise en scène réussie qui transforme une idée banale en une proposition originale.

le 9 nov. 2022

Du même critique

Journey to the West: Conquering the Demons
cherycok
7

Critique de Journey to the West: Conquering the Demons par cherycok

Cela faisait plus de quatre ans que Stephen Chow avait quasi complètement disparu des écrans, aussi bien en tant qu’acteur que réalisateur. Quatre ans que ses fans attendaient avec impatience son...

le 25 févr. 2013

18 j'aime

9

Barbaque
cherycok
4

The Untold Story

Très hypé par la bande annonce qui annonçait une comédie française sortant des sentiers battus, avec un humour noir, méchant, caustique, et même un côté gore et politiquement incorrect, Barbaque...

le 31 janv. 2022

17 j'aime

Avengement
cherycok
7

Critique de Avengement par cherycok

Ceux qui suivent un peu l’actualité de la série B d’action bien burnée, savent que Scott Adkins est depuis quelques années la nouvelle coqueluche des réalisateurs de ce genre de bobines. Mis sur le...

le 3 juil. 2019

17 j'aime

1