(Attention : ici ça spoile tout)


Mais pourquoi ce « Paul Sanchez est revenu ! », qui s’annonçait comme gentiment loufoque, m’a-t-il finalement donné envie de pleurer ?


Ce qui semblait absurde m’apparaît naturel maintenant, en pensant à ce léger malaise ressenti durant tout le film : après une telle succession de bourdes, de ratés, de pétards mouillés, il fallait bien décompresser ! « Paul Sanchez » c’est un film d’action enlisé dans un fossé : chaque fois qu’on sent l’intrigue prendre, ça se met à patiner pour retomber lourdement.


Les personnages rêvent d’élévation, mais sont désespérément lestés de quotidien. Didier Gérard, surplombant la départementale, atteint presque cette figure mystique de Paul Sanchez – la liberté absolue. Mais dès qu’il s’agit de se nourrir, la baie sauvage s’avère un piètre repas ; retour de bâton en un cut cruel qui condamne Didier à s’approvisionner en chips à la station-service… Sur l’instant, c’est un peu marrant – comme quand il galère à s’enrouler dans sa bâche – mais qu’est-ce que c’est amère…Voilà le burlesque triste. Quand l’aventure fait pschit et laisse place à l’humiliation.


C’est ce qui m’a touché, me rendre compte à quel point les personnages sont déçus de leur vie. Suffit d’entendre Didier Gérard – ce nom qui exprime tout par lui-même… Didier Gérard – écoutez comme il crache le mot « piscine », quand il avoue « Je vends des piscines », écœuré. Pas étonnant alors de découvrir, à la fin, qu’il habite dans une de ces maisons-blocs blanches, qui poussent partout dans les villes résidentielles. Elles m’ont toujours déprimé… Il y a quelque chose d’un peu pathétique dans ces habitations qu’on s’est faite construire, sans peut-être avoir les moyens ni le goût d’en faire de belles demeures... Et les découvrir finalement, après avoir cru à Paul Sanchez, provoque une telle déception… Et cette déception-là, c’était celle, quotidienne, de Didier Gérard, celle dont il a essayé de s’arracher, en vain. Voilà ce qui m’a bouleversé.


Comme le fait de le voir abattu alors qu'il était sur le point de le dire, peut-être. D’être abattu par une ultime projection, car tout le monde n’a fait que projeter durant ce film, fantasmer, se monter la tête. « Paul Sanchez... » est un cauchemar issu de notre soif de faits divers. C’est une tragédie qui prend ses racines dans l’ennui. Un poster affiché dans le bureau d’un policier l’annonçait d’ailleurs malicieusement : on y apercevait une soucoupe volante accompagné des mots « I WANT TO BELIEVE ».
Cela m’a rappelé l’une des « Histoire extraordinaires », cette émission de TV qui compilait des anecdotes paranormales : une famille jurait avoir vu un vaisseau spatial se poser à côté de la table champêtre où elle pique-niquait !


Il me semble que le cœur du film est là, qu’il travaille ce désir intense d’extraordinaire qui surgit du banal. C’est ce dont je me suis souvenu en repensant à l’époque de l’affaire de Ligonès : étais-je le seul à m’être demandé : « que faire si jamais j’aperçois de Ligonès ? » Et même : « vais-je l’apercevoir ? ». Patricia Mazuy capte ça ! Et ce désir était lié aussi à une attraction morbide. On attendait secrètement que France 2 nous diffuse les reconstitutions 3D macabres des événements, le détail des meurtres… Ce qu’on retrouve chez les policiers écoutant attentivement les coups de fils de « Paul Sanchez ». Enfin, il y avait aussi ce drôle d’espoir que de Ligonès soit toujours vivant. Avouons-le ! On l’espère, en fait ! Tout comme Marion espérait un autre Sanchez, qu’elle avait fantasmé. « Vous ne savez faire que ça, en fait, cracher des horreurs », se plaint la policière déçue.


De tout ce qui nous a remué dans cette affaire, Patricia Mazuy a fait un film.
Car elle a saisi à quel point était fascinante la manière dont ce fait divers a exalté nos désirs inassouvis d’aventure et de liberté. Voilà qui est triste.

Alexcovo
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le 31 juil. 2018

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