Je l'attendais ce film. De Palma m'avait pas mal déçu avec son film noir stylisé jusqu'à la boursouflure, la vanité et le grotesque, le Dahlia Noir et globalement son cinéma ne m'a jamais plus passionné que quand il se tourne vers le suspense, le thriller, l'horreur, l'érotisme, la violence, la psychanalyse.

Et dans Passion tout est là. Avec l'ami qui m'accompagnait, on en riait même à la sortie - je lui ai montré Pulsions, un de mes préférés du petit génie américain - et on se disait, "Obsession, Pulsions, Passion... Nichons ?" Car oui, le bonhomme aime les douches et les femmes nues. Tous ses films hitchcockiens sont fortement mâtinés d'un érotisme morbide et présentent des scènes de douche et d'ascenseur - deux lieux privilégiés de la rencontre sexuelle ou fatale.
Petite mort, grande mort, ici entrelacées dans des amours souvent saphiques ou fétichistes, De Palma déroule un programme qui lui sied à merveille. Car le chef d'orchestre travaille ici sur une partition qui existe déjà, le film de Corneau "Crime d'amour" que pour ma part j'avais beaucoup aimé. La glaciale Kristin Scott Thomas (géniale) devient la sulfureuse, tentatrice jusqu'à la laideur et la déformation Rachel MacAdams, parfaite; mais c'est surtout Noomi Rapace qui explose tout en reprenant le rôle de la petite Ludivine. Le film, passionnant sans mauvais jeu de mots, alterne entre fidélité et rigueur absolue à son modèle français, et subtiles variations, souvent virtuoses. Le film de départ était déjà hitchcockien en diable, De Palma rajoute donc sa touche personnelle. Pour cela, deux sommets d'intensité : une séquence de meurtre, érotique et après une douche (un comble !), qui ne pouvais que comporter du split screen et des plans séquences. Ce morceau de bravoure splendide et baroque est d'emblée culte. Maîtrise technique absolue, le maître y lâche enfin les chiens après une longue première partie du film qui, si elle est fort intéressante et bien mené, paraissait un peu terne et sobre. Mais après ce premier leurre, la grande séquence en est un autre, bien plus pervers. Que regarder ? Pourquoi l'Après midi d'un faune, dont on nous montrait des affiches depuis le début du film. Regard du spectateur, regard d'une spectatrice, regard des danseurs, regard d'un assassin, de sa victime et même quelques autres regards qui seront dévoilés plus tard... Tout est faux, ou bien rien ne l'est ?

La vérité, l'apparence, l'hypocrisie, la manipulation. Film de poupées et de pantins, de fétiches, d'impostures et de miroirs, De Palma s'amuse comme un gamin sadique avec son cinéma et celui des autres. Il rate certaines scènes, probablement délibérément, pour perdre le spectateur, l'endormir, l'agacer : telle scène paraît invraisemblable, ou sonne faux, ou paraît étonnamment filmée ou montée. Et quand il lâche la sauce, que les masques se mettent et que d'autres tombent, la vérité nue, cruelle, ironique, affleure. Superbe valse, portée par une musique absolument démentielle de Pino Dinaggio qui remonte le temps, son oeuvre, celle d'Hermann et le style plus lounge / italo disco des années 70 et 80. Objet kitsch, baroque et inclassable, le film traverse vitres et miroirs, on se déguise, on se farde et on se ment, les apparences nous trompent, la technologie et les écrans sont omniprésents, mais au milieu des smartphones et des vidéos youtube débarque un vieux portable dont la présence irrite autant qu'elle intrigue. Il est pourtant la clé de voûte du dernier ensemble diégétique du film, qui culmine dans un finale que le cinéaste invente et dirige à sa sauce, sur le fil de l'auto parodie ou de l'auto-hommage, qui évoque en tout points de vue le finale de Pulsions, en plus implacable, plus réjouissant, plus malsain, plus malin.

Rarement on n'aura pris autant de plaisir à être berné, manipulé, endormi puis brutalement réveillé. Du grand art, un brillant exercice de style, et un film absolument passionnant, pas prétentieux pour un sou.
Krokodebil
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le 17 févr. 2013

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Krokodebil

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