Il y a dans cette histoire banale sur le papier un petit quelque chose d'assez difficilement définissable, mais qu'on ne trouve pas ailleurs.


D'abord, les acteurs. On est en 1974 et ça ne fait que 4 ans que Depardieu fait du cinéma, surtout dans de la figuration ou des seconds rôles, à part Les Valseuses sorti un an plus tôt qui l'a révélé. Mais justement, après le phénomène des Valseuses où Gégé fait une irruption fracassante en voyou égrillard, c'est comme s'il redevenait plus mesuré et modeste dans ce rôle d'héritier criblé de dettes, sans non plus tomber dans un excès de pathos et de misérabilisme qu'il jouera dans d'autres films. Même s'il est le protagoniste du film, tout le film ne tourne pas autour de lui ; il ne le vampirise pas, comme il fera parfois ensuite. Ça fait du bien !


Marlène Jobert, elle, n'en est plus à son début de carrière. Ayant commencé en 1966, elle a déjà eu plusieurs films centré sur elle (L'Astragale, Le Passager de la pluie...). D'ailleurs, ici, elle co-produit le film. Elle est dans son jeu habituel (où elle excelle) et son rôle de postière attendrie par Depardieu est très plausible.


Dominique Labourier et Philippe Léotard sont parfaits de détachement et d'émotion dans leurs seconds rôles respectifs. À noter le petit joué par Guillaume Depardieu. On a aussi plaisir, comme toujours, à recroiser Paul Crauchet et Michel Robin (qui jouera entre autres le père d'Amélie Poulain), des « sacrés trognes » du cinéma français de ces années-là.


Mais ce n'est pas qu'un film d'acteur. D'abord, il faut préciser qu'on se situe en Suisse, et le cinéma suisse s'est distingué, à travers des auteurs comme Goretta, Alain Tanner ou Michel Soutter, comme un cinéma souvent rural et campagnard. Le cinéma français souffre d'être trop souvent des chroniques citadines et bourgeoises (plus parisiennes qu'autre chose) ou alors, quand il se penche sur la « province » ou les « territoires », c'est dans une approche souvent folklorique, du dehors, « en touriste ». Ici, malgré le fait que ni Gégé ni Marlène Jobert ne soient suisses ni sans doute très campagnards, on sent un je-ne-sais-quoi d'intimiste, de familier, de confortable chez les acteurs qui évoluent dans ces paysages, entre le village et la scierie, dans les ballades en mobylette ou à monter dans les arbres, jusqu'aux petits appartements des uns et des autres. C'était ça, le « bien de chez nous », l'authentique, avant que l'expression ne devienne galvaudée.


L'histoire, comme dit plus haut, est on ne peut plus quelconque, même si elle dit aussi quelque chose du (début) du désarroi économique de ces années-là, à l'instar de ce qui est parfois chroniqué dans les films de Claude Sautet. Le coup de l'entrepreneur endetté qui braque les banques n'est pas en soi une grande trouvaille scénaristique... on a déjà vu ça ailleurs.


Mais finalement, ce petit Bonnie et Clyde familial suisse et campagnard, avec des dialogues français tout en finesse dans un film finalement simple, peu prétentieux, prévu pour passer en télé et être vite oublié, fait vraiment du bien par où il passe. On ne peut pas non plus dire qu'il soit « un reflet des années 1970 », il est finalement assez anachronique. Et ça manque vraiment aujourd'hui, ce cinéma qui ne se prend pas la tête, qui n'est ni un film d'auteur d'un réalisme social austère ni un objet de consommation standard emballé-c'est-pesé. Ce fameux cinéma du milieu, qui fait semble-t-il si peur aux producteurs...

filmdeouf

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