Park
5.7
Park

Film de Sofia Exarchou (2016)

La Grèce, de l’Olympe à la ruine

Qui imaginerait le Village Olympique d’Athènes, construit pour les Jeux de 2004, tel qu’il se présente actuellement ? Équipements sportifs délabrés, à l’abandon, offerts au vent, à l’action corrosive du soleil, à la pluie qui, seule, remplit désormais les piscines.. Espaces envahis par l’herbe folle, les chiens errants et les jeunes gens perdus...


La violence qui s’est déployée dans ces lieux anciennement voués à la compétition frappe d’entrée de jeu : parodies d’épreuves physiques teintées de sadisme, parodies de luttes, parodies de consécration du champion... Dans son premier long-métrage, la réalisatrice et scénariste athénienne Sofia Exarchou brosse le portrait d’une jeunesse à la dérive, prenant de plein fouet l’effondrement économique de la Grèce, mais non moins animée de l’énergie et du besoin d’exploit qui habitent les jeunes gens. Une énergie et un besoin d’exploit qui, désormais, tournent à vide, au mieux, ou peuvent se retourner contre leurs hôtes, quand ils ne s’abattent pas sur une victime de hasard. Dans cet univers hors de ses gonds, où hommes et femmes forment des groupes le plus souvent très nettement séparés, la mort d’un animal est plus pleurée que la perte d’un lien amoureux, quelle que soit la profonde déstabilisation provoquée par celle-ci.


Au sein de cette troupe bruyante et hurlante, se bousculant constamment et scandant ses enthousiasmes ou ses excès dans des sortes de transes collectives, Sofia Exarchou isole quelques figures : un adolescent, trouvant plus de calme et de bienveillance au contact du chien errant qu’il a recueilli qu’auprès de la plupart de ses camarades ; un jeune couple, formé par Dimitris (Dimitris Kitsos) et par Anna (Dimitra Vlagkopoulou). Parés et vêtus pour un tel emploi, ces deux jeunes gens pourraient incarner des dieux grecs. Mais la réalisatrice souligne le déchirant écart entre la richesse, tout ce qui serait en puissance dans ces personnages, et ce que la société leur demande ; ou ne leur demande pas, précisément. Dimitris cherche une embauche qui ne lui est que rarement consentie ; Anna, tout comme l’actrice qui l’incarne, est une ancienne gymnaste qu’une blessure a détournée de la compétition. Ces héros n’ont que leur corps pour toute richesse, mais ce bien démonétisé, avec lequel il leur est impossible de construire quoi que ce soit, pas même une relation amoureuse stable, ne peut que les entraîner dans une spirale de destruction. Seule la caméra, témoin de ces splendeurs dédaignées, épouse au plus près ces corps et ces visages sculptés pour un autre destin.


Dans cet univers en voie de délitement, les couleurs, désaturées, apparaissent comme pâlies, et la directrice de la photographie Monika Lenczewska recueille une image pulvérulente, dans laquelle tout ce qui fut solide semble promis à un effacement déjà bien avancé.


On songe, sous un ciel également méditerranéen mais plus occidental, et à une autre époque, à la jeunesse sans espoir peinte en 1981 par Carlos Saura, dans son très beau « Vivre vite » ; mais le dynamisme, la tonicité tragique qui animait les jeunes Ibères cède ici la place à une incommensurable nostalgie qui n’est pas sans évoquer celle qui nimbait le cinéma de Theo Angelopoulos ; un au-delà de la tragédie, au cœur duquel les complexes hôteliers pour touristes occidentaux apparaissent comme fantomatiques et côtoyés dans un état incertain, entre veille et cauchemar.

AnneSchneider
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le 5 juil. 2020

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Anne Schneider

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