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Paria de la vie
6.7
Paria de la vie

Film de Allan Dwan (1916)

Regardez "Paria de la vie", et vous entendrez le rire de Douglas Fairbanks. Tonitruant. Flamboyant. Envoûtant. Légendaire. Le film est pourtant muet. Cela n'empêche pas pour autant la légende de se faire entendre. Comme pour les colts qui tirent ou les sabots des chevaux, la fumée suffit. Chacun se créé, se recréé le rire de Fairbanks. Comme une petite musique intime. C'est ce qui en a fait une star. Une icône. Un mythe. Une légende. Douglas Fairbanks.


Quel plaisir de découvrir cette histoire en cinq bobines, la première d'une bien fructueuse collaboration entre Fairbanks Sénior et le cinégraphiste Alan Dwan. Celle-ci préfigure d'ailleurs leur futur succès en commun, "Robin des bois" (1922), dont le personnage principal de "Paria de la vie" est directement inspiré. Ce film est écrit par et pour Douglas Fairbanks. Il est ici question pour la jeune vedette naissance de se donner la part belle. Pari gagné. Son entreprise est de se construire une figure mythique (le héros au sourire toujours triomphant). Il a pour dessein de marquer le public au fer rouge (notamment via son célèbre bond le faisant attérir, avec panache, sur sa monture). Et pour cela, il a l'intelligence de fondre son personnage dans un cadre naïvement dramatique et spectaculaire, certes. Manichéins même. Mais diablement implacable et cathartique. Ce cadre classique - mais efficace - contraste avec une fantaisie. Celle de l'interprétation bondissante de Fairbanks. L'artiste - The artist pourrions-nous même dire puisque Jean Dujardin et Michel Hazanavicius s'en sont inspirés pour leur film éponyme - brille auprès du public. Celui-ci ne peut qu'être conquis par ce personnage foncièrement charismatique. La star se donne le rôle d'un jeune bandit orphelin au grand coeur. Il vole pour donner aux pauvres. Sa mère est morte. Sûrement de chagrin. Son père les a abandonné. S'il peut le tuer, il le fera. Mais il ne sait pas qui c'est. Le marshall le sait, celui qui le traque. Il deviennent ami quand l'homme de loi découvre que le bandit c'est le fils. Celui de son amour de jeunesse. Elle lui a préféré son père, ainsi soit-il... Le marshall lui révèle que son papa ne les a pas abandonné. Il fût assassiné par Bud Frazer, le chef du gang des Wolf. Son nouvel ennemi depuis que notre héros est arrivé en ville. Ce dernier désire se marier avec la petite pépée que Fairbanks convoite. Ses sentiments étant réciproques, il va lui arracher la fille et la vie, tant qu'à faire... Bref, le genre d'histoire racontée à maintes et maintes reprises et dans de nombreuses variations sur les planches des théâtres ambulants qui parcouraient les USA, d'états en états. Et dans la jeune littérature populaire américaine. Un retour savoureux donc aux sources primitives de l'outil narratif.


Paria de la vie, ou plutôt The good bad guy en V.O (un titre moins poétique mais cernant bien mieux le protagoniste principal), est un film dont le caractère pionnier du genre fait irrésistiblement écho avec la vie des fondateurs américains mis en scène ici. Ceux des habitants de la ville de Manchester City où vient séjourner le personnage principal : Passin' Through'. Ce que l'on peut traduire par : "passer à travers". Les balles. La loi. Les aléas de la vie. L'amour. La mort... Fairbanks et Dwan font parti de ces pionniers de la manivelle ayant face à eux un désertique et immense canyon cinématographique à défricher. Toute une nouvelle mythologie à bâtir. Celle du cinéma américain. Comme leurs ancêtres migrants venus prendre les terres indiennes et l'ascendant ; Fairbanks et Dwan, accompagnés de tous leurs compatriotes, ont pris le cinéma - médium au départ étranger - et l'ont plié à leurs codes. Et ils en ont fait les règles immuables et sans frontières du cinéma de divertissement.


Dans cet opus, pas d'expérimentation d'avant-garde. Il est plutôt question ici de la recherche d'un nouveau langage. Celui du nouvel art d'alors. Pour mettre en valeur sa vedette. J'ai apprécié la manière de caractériser certains personnages. Comme le shérif incompétent mais bonne patte qui se contente tout le long du film de s'amuser avec son lasso. Comme un enfant jouant au cowboy. Premiers pas. La distribution pose également les jalons du western classique. Avec des comédiens qui jouent ici ce qu'ils vont interpréter tout le long de leur carrière. Premiers pas. Fairbanks, sempiternel héros flamboyant aidant les plus faibles. Légende. Il est accompagné de la débutante Bessie Love (voila un nom d'artiste à croquer comme il y en avait pléthore), alors sous contrat avec le studio produisant "Paria de la vie" (Triangle Fine Arts) qui exploitait son charmant minois et son énergie espiègle de film en film, et plus particulièrement en cette année 1916, celle de ses 17 printemps. Premiers pas. Sa fraîcheur irradie de manière malicieuse la pellicule de Dwan. Légende. Le méchant, évidemment habillé en noir, l'air patibulaire, Bud Fazer, est incarné par Sam de Grasse, habitué aux rôles de crapules et d'antagonistes de tous poils, notamment dans le "Robin des bois" de la même équipe, en 1922. Légende. Quant à la mère du héros, elle est icônisée grâce à un joli effet spécial lorsque le héros se rappelle d'elle en l'évoquant auprès de sa promise. Dwan la filme en plan américain, sur un fond noir pour faire d'elle une photographie animée. Celle-ci est jouée par Mary Alden, autre figure incontournable des années 20 aux années 30, notamment chez Griffith, l'un des patrons de Triangle Fine Arts. Légendes.


En sus de ce casting de choix, je me suis tout particulièrement régalé de la réalisation d'Allan Dwan. Il est épaulé par son opérateur, Victor Flemming. Premiers pas d'un futur cinéaste de renom ("Autant en emporte le vent", "Jeanne d'Arc"...). Légende. Il fait ici ses armes auprès de Fairbanks qui l'aidera plus tard à devenir réalisateur. Dwan et Flemming savent mettre en valeur les décors extérieurs. Ils tournent là où la terre n'a pas bougé depuis l'époque évoquée dans "Paria de la vie". Ainsi, le cinématographiste se permet des cadres avec de magnifiques profondeurs de champs. Il se plait à placer ses comédiens au premier plan, à les entourer de superbes étendues désertiques à perte de vue. Un décor sec. Une ambiance arride. Cela ne peut être qu'une étape dans l'itinéraire de notre héros. Ce qu'elle est, du reste. Théâtre de la vengeance du personnage qui pourra alors avancer, une fois celle-ci assouvie. Le but de Dwan n'est pas de susciter des émotions nuancées chez les spectateurs ou de mettre en scène des états d'âme. C'est de créer du spectacle. Divertir le plus grand nombre. À une époque où tout est à inventer. Où toutes les règles sont à définir. C'est ce qui rend ce film passionnant à voir, comme les premiers pas d'un nouveau né. Le voir appréhender son environnement. Son univers qui prend une autre dimension, avec des outils et une façon de représenter l'espace comme aucun autre art n'a pu le faire jusqu'ici, notamment grâce au montage.


D'ailleurs, ce qui me frappe surtout dans le savoir faire pionnier de Dwan, c'est sa manière de monter son film. Dès les premiers plans. Ce moyen métrage demeure savoureux encore aujourd'hui. Car primitif à tous les étages. Dès son introduction avec cette histoire racontée autour d'un feu, manière ancestrale pour se distraire les uns les autres. Habitude renouvelée au XXème siècle en racontant désormais des récits à ses semblables grâce au cinéma. Ici, des hommes assis entourent les flammes. L'un d'eux racontent l'histoire de Passin' Through', après avoir lu un article de journal évoquant l'un de ses crimes. Il raconte plusieurs des précédents larcins du voyou. On les découvre en flash-back. Ce qui est marquant dans la réalisation de Dwan, c'est sa façon très moderne de nous monter ces moments. Pas d'effet. Aucun fondu ou volets. Même pas de jeu avec l'iris. Seulement des cuts efficaces, mettant en scène de courts mais savoureux moments de banditisme au profit des plus pauvres que Passin Through aide grâce à ses butins. Tout cela est filmé de manière simple et efficace. Dwan alterne les plans larges. Toute l'action y est savamment orchestrée en un seul plan. Puis il y a des inserts. Ils tiennent autant un rôle de ponctuation que d'effet loupe sur un détail conférant tout l'intérêt narratif à la séquence. Leone s'en rappellera. Dwan effectue peu de panoramiques, préférant alterner des axes de caméra différents au montage afin de créer le mouvement. Un travail d'orfèvre pour une époque où le poste de scripte n'existait pas encore. Dwan fait toujours entrer et sortir ses personnages au bon endroit. Parfaitement raccord. D'ailleurs, la redoutable efficacité de sa mise en scène repose sur son grand talent de spatialisation, que ce soit à l'intérieur des plans et/ou dans sa manière des les raccorder entre eux. Lors du passage d'un plan à un autre, le réalisateur fait systématiquement en sorte que l'oeil du spectateur tombe au bon endroit. J'ai tout autant apprécié la manière dont Dwan monte en parallèle une scène de tirs dans un saloon et celle où la bande du méchant Wolf poursuit Passin' Through à cheval. En lui tirant également dessus. La fumée des colts se mélangeant à celle de la poussière provoquée par les animaux vaillament chevauchés par des cascadeurs de haute volée. Ce sont deux séquences de suspence. Elles progressent au même rythme. Le puissance du suspence de l'une étant toujours inférieure à celle de la suivante. Cela permet à Dwan de nous faire passer d'un espace à un autre avec une grande efficacité, la progression et la puissance narrative étant ainsi graduellement assurée grâce au montage. On peut donc une nouvelle fois saluer le travail méticuleux de Dwan pour mettre en scène cette histoire avec brio, en mettant toujours ses effets de mise en scène au service du plaisir du public. Celui-cise délecte d'une telle gestion efficace de la tension.


Allan Dwan fait également preuve d'une grande maîtrise dans la cinégraphie de moments spectaculaires mettant en scène une centaine de cavaliers lancés à la poursuite de Passin' Through, s'enfuyant seul avec sa promise. Ces instants impressionnent par leur bluffante authenticité. Notamment grâce à l'enivrante absence d'effets spéciaux. Nous sommes ainsi scotchés par ce mélange de maestria et d'inconscience de la part du metteur en scène. Fairbanks est seul contre tous. Dwan en fait définitivement un héros.


Fairbanks et Dwan, l'un par son personnage mythologique, son scénario Shakespearien et l'autre par sa mise en scène inventive, balisent les codes du genre. Le plan final est d'ailleurs iconique. Celui du cowboy qui s'éloigne de dos. Sur son destrier. Plus jamais seul, il est avec sa belle. Après l'avoir sauvé. Après avoir assouvi sa soif de vengeance. La destination, on l'imagine bien. Surement fonder une famille. Dans une nouvelle ville à construire ou fraichement construite. Celle d'un pays tout neuf. Une nouvelle aventure. Fairbanks a encore gagné. Une légende ne perd jamais. Parker Lewis vous le dira.

ThibaultDecoster
8

Créée

le 4 janv. 2021

Critique lue 193 fois

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