L’intrigue pourrait se résumer en une ligne de faits divers : “Dans une gare, un jeune skateur tue accidentellement un agent de sécurité”. L’histoire n’est pourtant pas inspirée d’un fait réel, comme a pu le faire Gus Van Sant avec Elephant ou d’autres films, mais d’un roman épistolaire du même nom. Paranoid Park est à l’origine la lettre d’un jeune skateur, une lettre confession, une lettre aveu, linéaire. Le film, lui, n’a plus rien de linéaire. Les scènes se croisent, et se chassent les unes les autres, tournant en creux autour de l’accident. Alex, le personnage principal, occupe l’écran dès les premières minutes, entre son banc près de la mer, sa maison, sa salle de classe, et nécessairement Paranoid Park ; entre le dialogue avec le détective, son journal intime, et les souvenirs de cette nuit-là, à Paranoid Park.


Revoir Paranoid Park, c'est se laisser accaparer par ce qui m'avait saisie lors du premier générique : cette étrange poésie, cette unité du film autour d’un certain étirement. Dans les couloirs de son lycée, Alex avance, face caméra, seul ou entouré. Plusieurs tableaux visuels se répondent les uns aux autres, entre répétitions et déclinaisons. Il y a des moments expliqués, des moments montrés, qui s’enchevêtrent et se racontent les uns les autres. Le temps est démultiplié en plusieurs instants, que le spectateur seul est à même d’associer. La bande-son vient soutenir cet horizon travaillé, ce montage de la continuité. Les mêmes chansons reviennent au fil du film, dans des situations similaires. Parfois ce sont les mêmes compositeurs. Nino Rota, Elliott Smith, Beethoven, occupent à eux seuls une grande partie de la musique du film, créant des connexions entre les scènes, renforçant les similarités et les dissonances.


Paranoid Park porte une esthétique, mais n'en est pas moins un récit. Non pas celui de jeunes qui ne ressentent rien, mais trop souvent tentés de se noyer dans leur vie propre, déjà si riche à appréhender. Des adolescents perdus dans une absence palpable : “C’est pas comme si mes parents en avaient quelque chose à faire” explique Alex. “Sa mère était à Las Vegas, son père ne vit plus avec eux”. Hors de ces instants de dialogue, l’absence n’est mesurable qu’en creux : absence des adultes, absence de repères, absences d’objets (l’âge qu’on dit hyper-technologique et hyper-connecté, se contente ici d’un skate, et d’un carnet), absence de réactions (les gros plans sur les visages sont nombreux, et pourtant les émotions en sont souvent absentes). L’âge montré à l’écran est sous-tendu de ce vide, de ce flottement.


Et puis... Et puis il y a Macy, miroir d'Alex. Personnage "secondaire" qui offre une fin au récit, facette d'une adolescence pas si condamnée que cela. C’est à elle que revient le dialogue final, offrant une possible libération, inexistante au début du film, alors qu'Alex était enfermé dans l'étroit couloir du lycée. Juchée sur son vélo, elle ouvre soudain le film vers autre chose.

marcielutin
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le 11 mai 2016

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