Le spectateur plonge dans Paprika comme le font les personnages que met en scène Satoshi Kon. Sans prévenir et de manière profonde. Et au son de la musique de cette folle fanfare hétéroclite. Paprika sonde les esprits, les obsessions et les psychoses. Tout comme la réalité dont laquelle le rêve s'empare dans une contamination qui s'étend comme une tâche d'huile
C'est une véritable expérience sensorielle que l'on est invité à ressentir, aussi fulgurante que déstabilisante et inquiétante. Satoshi Kon promène son public dans un univers gargantuesque et foisonnant, dans un déluge pop aux couleurs chaudes, entre diversité inouïe et répétitions de motifs, de figures, de plans. C'est cette répétition qui instille peu à peu un malaise indéfinissable mais bien présent. L'onirisme chatoyant se tend soudain en animant les traits des visages de poupées figés une seconde encore. Si les yeux s'assombrissent, les sourires se transforment en rires sardoniques ou en rictus maléfiques. La folie prend le contrôle de l'enquête, de la traque d'un terroriste de l'imaginaire qui s'insinue dans les rêves, qui les malaxe, les téléscope.
Paprika, elle, passe du songe à la réalité en sautillant, légère, intangible, protéiforme. Elle passe du songe à la réalité par une fenêtre, dans un sourire, avant de mesurer le danger qui la poursuit inlassablement. Son double, dans le monde réel, est son exact contraire. Cette dualité est l'un des coeurs du film, tout comme la représentation de la magie, du rêve, de l'illusion, de l'art cnématographique.
Les frontières de la réalité cèderont bientôt, quand cette folle fanfare bigarrée déferlera dans les rues de la ville dans une tempête de confettis. Mais si Paprika explore les méandres du cerveau et l'imaginaire plus ou moins dérangé, comme une chambre dont les étagères sont envahies de poupées et de goodies, Satoshi Kon met aussi en scène les sentiments et le coeur de ses personnages. Car même si le sol se dérobe soudain sous leurs pieds dans une poursuite irréaliste, s'ils se retrouvent épinglés comme des papillons, s'ils se déforment ou changent de peau, c'est le coeur qui raccrochera in fine les protagonistes à la réalité. Même perdus au plus profond de leur psyché, dans leur abandon au sein du miroir qu'Alice a traversé avant eux.
Paprika, c'est Satoshi Kon au sommet de ses capacités et de son art, une puissance d'évocation rare au service d'un univers incroyablement riche et dense, d'un véritable film-monde dans lequel je me perdrai avec le même plaisir que celui que j'ai éprouvé lorsque je l'ai découvert pour la première fois. C'est tout ce qu'on gardera de Satoshi Kon. Pour toujours.
Behind_the_Mask, des grenouilles musiciennes plein la tête.