Au rang des purs plaisirs cinéphiles se trouve le suivant : celui de découvrir un auteur, dont l'on ne sait finalement pas tant de choses, à travers une oeuvre qui réussira à nous couper le souffle.
Evénement récurrent mais hélas trop peu régulier et tendant à se raréfier avec le temps, mes dernières grandes rencontres se sont faites au contact de Berri, Hamaguchi, Minnelli, Lifshitz, Watkins ou Jancso. Voilà donc que Duvivier rejoint cette clique hétéroclite.


Comment ne pas se trouver conquis dès les premières minutes ?
Un gros plan sur un vieillard allongé sur un banc, qu'on prie de décamper, tandis que défilent en fond les camions qui viennent installer la foire : voilà déjà qu'on cherche à éloigner les marginaux, ceux qui font tâche, au profit du spectacle. Sans qu'on s'en rende compte tout de suite, voilà révélé le propos du film.
Un peu plus tard, pour achever de pleinement nous séduire, on nous offrira également un dialogue amoureux aussi délectable que la relation qu'elle sert se montrera rapidement répugnante : deux amoureux se promettront de se rencontrer le lendemain en faisant semblant de ne pas se connaître, pour protéger les apparences : "Je suis sûr que ce sera un coup de foudre". Délicieux.


Mais maintenant que nous voilà conquis, revenons-en au spectacle.
Le motif de la fête foraine traversera tout le film, assez sordidement. Si les antagonistes iront se faire tirer les cartes pour connaître leur avenir, notre héros le misanthrope et touchant M. Hire aura quand à lui droit à un aperçu plus précis encore lors de la scène des auto-tamponneuses. Malmené sans autres raisons que sa bizarrerie, il se verra très vite la cible de toutes les autres autos, dans une scène aussi cauchemardesque qu'elle semble pourtant anodine.


C'est que dans ce quartier, l'humain n'aime pas beaucoup l'autre. Bien sûr, ici l'humain prétend défendre la justice, veut trouver un criminel ; mais qu'il serait pratique que le criminel soit justement celui qu'on n'aime pas, le bizarre, l'autre.


Il y a quelque chose de comique à regarder ces braves gens se monter le chou, se tourner en ridicule sans l'aide de personnes, alignant les réflexions stupides, les initiatives désastreuses et les comportements idiots. On en rit, mais jaune en songeant à quel point la cible de leurs inimitiés ne trouvera pas ça drôle.


Le dénouement survient, comme on s'y attend, dramatique. Quelques minutes, le résultat d'une tragique farce, que tout le monde observera à peine caché derrière une vitrine ou un bout de muret.
Puis, une fois le spectacle fini, voilà que la foire redémarre, et que tout le monde se précipite sur les manèges, tandis qu'un frisson terrible nous parcourt l'échine...
Immense, vous dis-je.

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le 10 janv. 2022

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Heobar

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