Padre
6.9
Padre

Court-métrage d'animation de Santiago Grasso (2013)

Argentine, 1983. La dictature militaire ayant cédé le pouvoir, le pays tente de panser ses plaies.


Une femme vit en solitaire dans un appartement qui donne sur une cour, au rez-de-chaussée de la ville, probablement Buenos Aires. Son quotidien est fait de gestes répétitifs dans une ambiance pesante, marquée par le tic-tac de l’horloge et les couleurs sombres de l’intérieur où elle vaque à ses occupations. Étant donné que tout est déjà rangé et organisé soigneusement (voir les décorations aux murs par exemple), elle n’a pas grand-chose à faire sinon la cuisine et la vaisselle.


De nombreux détails (depuis le titre), donnent à penser qu’elle s’occupe de son père impotent. Mais on ne le verra jamais. Tout juste si on peut l’imaginer grâce à des photos (de militaires). Par contre, dans l’appartement on remarque un fauteuil roulant replié. Quant à son lit, dans la chambre, il reste inoccupé, sans couverture ni drap.


Finalement, on peut se demander quel est l’état mental de cette femme, plus de la première jeunesse. D’après ce qu’elle observe dans la cour de l’immeuble, on peut imaginer son esprit vagabonder (un plan vers la fin, nous montre un autre aspect de cette cour). D’ailleurs ce qu’elle observe me semble extrêmement symbolique.


En effet, un titre de journal et des revendications entendues à la radio (confirmées par des images d’archives montrées avec le générique de fin) situent le film par rapport au passé politique de l’Argentine. Au cours de la dictature militaire, de nombreuses personnes ont disparu et la lumière n’a jamais été faite sur l’ensemble de ces drames. Des voix s’élèvent pour demander des comptes, des voix qui affirment que des militaires de haut rang ont exercé un « droit » de vie et de mort sur certains, sans avoir jamais eu à affronter la justice.


Ce film rappelle donc que tout un pan de l’Histoire argentine reste obscur et douloureux. Cette femme qui agit de façon quasi mécanique, avec son attitude désabusée et fatiguée, semble s’accommoder comme elle peut d’un passé qu’elle réprouve mais auquel elle ne rien changer.


Le réalisateur (Santiago Bou Grasso) capte bien cette existence brisée. La lenteur du film et son laconisme mettent évidemment l’accent sur tous les détails qu’on peut saisir. Comme quoi un film d’animation ne nécessite pas forcément beaucoup de mouvement. Ici la réussite tient à l’atmosphère et au parfum de mystère qui s’en dégage. Tout spectateur est invité à se poser la question du lien entre quelques destins individuels et les causes et conséquences d’une période aussi confuse que tragique sur tout un peuple.


L’animation donne en particulier beaucoup de force à ce personnage féminin. Derrière son mutisme, tout dans ses gestes, attitudes et expressions de visage en dit long. On sent son enfermement (physique et psychologique), ses craintes, sa fragilité et jusqu’à ses petites joies. Couleurs, décors et cadrages (ainsi qu'un gros travail sur la bande-son) contribuent à l’ambiance. Quant au scénario, il dévoile progressivement les détails qui donnent de la profondeur à l’ensemble, tout en gardant une part de mystère qui incite à l’interprétation.


Pour voir le film : https://vimeo.com/162326419

Electron
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le 9 mai 2020

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