Imposture en Normandie

Ouistreham(2021) d’Emmanuel Carrière, c’est l'adaptation de Quai de Ouistreham de Florence Aubenas, récit paru en 2010.

Pendant 6 mois, cette écrivaine, joué dans le film par Juliette Binoche, a totalement changé de vie pour écrire un livre sur les conditions de vie des plus défavorisées et pour identifier l’impact de la crise économique:
À Caen, elle s’est façonné une autre existence. Devenue femme divorcée sans aucune expérience professionnelle, elle a travaillé pendant plusieurs mois dans le secteur de l'entretien et de la propreté, enchaînant les petits boulots dont un emploi en tant que femme de ménage dans un ferry reliant Ouistreham à Portsmouth.

Tout d’abord, au niveau de l’investigation menée dans ce secteur, le film parvient parfaitement à retranscrire la vie des « petits gens », dans ces mauvais aspects avec notamment la précarité, la fatigue ou la morosité mais également à travers ses meilleures éléments comme l’entraide, l'acceptation de l'autre ou la joie avec peu de choses.
D’ailleurs, ce qui est agréable dans le film c’est qu’à part Juliette Binoche, ce dernier est composé de personnes issues de ce milieu, qui n’étaient donc pas acteurs/actrices auparavant. Le casting contribue donc à à rendre le film "réaliste". Pour le spectateur, ce film est une formidable opportunité afin de considérer ces vies trop souvent oubliées et occultés du grand écran.

Toutefois, ce film transcende l'aspect documentaire. En effet, en son cœur, il nous interroge sur la méthode employée par l'auteure : Pour cause, cette dernière tisse des liens avec des personnes à qu'elle mène en bateau tous les jours, pendant 6 mois.
En somme, au-delà du travail d’investigation, le film traite des conséquences relationnelles de cette imposture.

Enfin, ce film a une troisième clé de lecture, plus « méta ». En tant que spectateurs, nous savons très tôt dans le film que l’écrivaine cache son identité et ment à toutes les personnes qu'elle croise sur son chemin, nous devenons donc complices.
Plus encore, par essence, en allant voir ce film au cinéma, nous accordons à ces vies un instant de la nôtre, puis après la séance, nous rentrons chez nous et passons à autre chose.
En après-plan, notamment dans la scène finale du film, il y a donc ce message : essayer de comprendre une situation que traverse au quotidien une personne n’allègue en rien sa réalité et ses souffrances.

En définitive, Ouistreham est un très bon film : il s’intéresse à des personnes dans l’ombre, le casting est authentique, l’angle d’attaque est pertinent et on ressort plus humble de la salle.