Adapté d’un roman d’Irvin Welsch à l’écriture du déjà bien barré Trainspotting, Jon S. Baird s’empare de ce récit pour livrer une œuvre complètement dingue, monstrueuse de sens et speed à souhait. Jon S. Baird n’est pas encore connu du monde audiovisuel si ce n’est qu’il a été associé à la production du film Hooligans (Lexi Alexander, 2006). Néanmoins son travail a déjà été repéré et il a déjà été engagé par Disney pour écrire un scénario encore tenu secret à l’heure actuelle. Le roman d’Irvin Welsh est intitulé chez nous « Une Ordure », et c’est exactement ce que Filth raconte, l’histoire d’un policier ordurier dont l’ambition est de décrocher la promotion de son service pour devenir détective. Et ce, quitte à créer des tensions ou mettre des bâtons dans les roues à ses collègues. Dans ce sens, le film fait très dans le politiquement incorrect. Très tôt, en même temps que son désir d’accroître sur le plan professionnel, on apprend que Bruce a un mode de vie décadent où se croisent la drogue, les putes et les emmerdes. En attendant de retourner avec sa femme qui joue les aguicheuses espérant que son mari obtienne cette promotion, Bruce dévoile progressivement un lourd passif à travers de nombreuses hallucinations sommaires.

Jon S. Baird n’ose pas s’éloigner de la référence du genre qu’est le Trainspotting de Danny Boyle (1996). Le cinéaste reprend ainsi ces mêmes idées de mise en scène qui alternent les moments furax et les séquences figées. Là où il se démarque, c’est que sous ses airs de comédie sous acide, Filth est en fait un véritable drame, un drame dont le personnage principal est incapable d’affronter la réalité. En ce sens, la personnalité schizophrénique du héros est apporté avec soin et ne tombe jamais dans le grand-guignolesque. L’intrigue donne à croire que Bruce est devenu une pourriture à la suite d’un drame qui lui est arrivé, des hallucinations montrent à de nombreuses reprises un fantôme d’enfant et lui reflètent l’image d’un porc. La suite du récit pousse le propos plus loin et le spectateur est constamment malmené et se retrouve sans cesse dans l’interrogation. Derrière cette façade d’ordure, l’homme s’est inventé un semblant d’existence décadent où il s’acharne contre les pires vices de la société. Mais il retrouve une certaine forme d’humanité dans ces rencontres avec la femme d’un homme à qui il a essayé de sauver la vie. Comme si cela lui rappelait un souvenir. Ces séquences posées ralentissent le rythme d’un film qui ne s’arrête jamais.

La performance de James McCavoy est démente, apitoyante et tellement insensée qu’elle en est que plus fascinante. Il impose un air cruel et contrebalance avec quelques élans empathiques donnant l’impression d’un personnage totalement schizophrénique. Pas étonnant que l’acteur a été récompensé du Prix du Meilleur Acteur dans les cérémonies du British Independent Film Awards et du London Film Critics Circle Awards. A ses côtés, James McAvoy est secondé par le gratin de la comédie britannique, Jim Broadbent (psychologue barje) et Eddie Marsan (pleutre empathique,) et de la scène montante anglophone, Imogen Poots (touchante en relations humaines) et Jamie Bell (opportuniste complexé sexuellement). Un casting de haute volé pour un film qui n’en est que meilleur même si James McAvoy absorbe littéralement tout l’écran.

Le récit de Filth laisse place à un véritable trip décalé et trash dans sa première partie, porté à bout de bras par un James McAvoy en roue libre. Puis peu à peu, le ton du film se mue en un drame poignant autour de la perte, de la famille et de l’amitié. Point de pathos, mais un regard poignant sur un personnage dépressif, malade et irrécupérable. Un personnage qui pour faire face à ses démons se créer un personnage ordurier et devient par conséquent une victime de schizophrénie. Jon S. Bair se laisse aller à quelques fulgurances hallucinatoires comme en témoigne ces rencontres psychédéliques avec le psychologue de Bruce. Certains gros plans sur les visages imposants et déformés des protagonistes rappellent quelques délires sous acide de Las Vegas Parano (Terry Gilliam, 1998). L’ambiance de ce film reflète véritablement la mentalité déglinguée et désespérante -à base de masques effrayants, de couleurs agressives et de rupture de rythme- de ce personnage principal et s’effondre dans un dénouement surprenant et d’une noirceur insoupçonnable. En somme, c’est magnifiquement tragique.

Filth contient tout ce qui a fait le succès du Trainspotting de Danny Boyle même s’il n’en atteint pas le prodige de la mise en scène. Jon S. Baird ressasse cette mise en scène archi-découpé mais la combine allègrement avec de brusques ruptures de tons et de longs plans fixes. Il y a une véritable atmosphère borderline, des dialogues abrupts et très soignés, et de péripéties déjantées qui font tout le style de la patte d’Irvine Welsh. James McAvoy saura remporter l’adhésion de tous dans ce rôle à contre-courant qui fait de cette comédie douce-amère un spectacle décalé et délicieusement sombre.
Softon
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le 9 févr. 2014

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Kévin List

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