Il est parfois des actes et des décisions qui changent l'Histoire. Qu'ils viennent d'institutions ou d'individus isolés, les conséquences sont alors irréversibles pour l'évolution du cours de l'humanité. Ainsi, en 1945, le monde aura basculé dans l'ère de l'atome. Et cela grâce ou à cause d'un seul homme, un génie scientifique hors du commun : Robert Oppenheimer.
Il ne s'agit pas ici de dresser la biographie du "père" de la bombe atomique - au fond ce film s'en charge très bien - mais bien de parler de sa représentation à l'écran et pourquoi en parler aujourd'hui, en 2023. Parce qu'en 2023, comme hier en 1945, le monde n'a jamais été autant sous la menace d'un conflit nucléaire - réel ou fantasmé, peu importe - mais il y a encore des dirigeants, de par le monde, qui ont le doigt à quelques centimètres du bouton rouge, prêt à déclencher le feu nucléaire pour des motifs parfois bien dérisoires.
Ainsi en était-il en 1945 lorsque le monde voulait en finir avec une guerre qui tardait à s'achever. C'est alors que l'on fit appel à un savant brillant de l'université de Berkeley en Californie pour diriger une équipe autour d'un projet secret dont l'objectif serait le développement d'une bombe très puissante et construite sur le principe de la fission atomique qui venait tout juste d'être découvert.
C'est cette histoire et toutes ses conséquences que nous raconte Christopher Nolan dans ce film. Un film brillant, explosif et dont chaque mot, chaque réplique, a été mesuré, étudié, pour coller à l'Histoire et tenter de la comprendre.
Il ne s'agit pas d'excuser ici les raisons qui poussèrent à la création d'une des armes les plus destructrices de toute l'histoire humaine mais de comprendre, dans son contexte, comment on en est arrivé là. C'est donc par le biais de son créateur que l'on aborde cette période qui anticipe la guerre froide et à l'origine de l'affrontement à venir entre l'Est et l'Ouest ; entre d'un côté, le camp des Occidentaux et celui des Communistes.
Il s'agit de comprendre comment les Alliés d'hier - peut-être unis par les circonstances - en sont venus à se diviser et notamment autour de la question de la possession d'une bombe.
"Oppenheimer" est un film d'une grande intelligence, d'une grande subtilité, qui distille parfaitement son propos, donnant au spectateur à réfléchir à chaque plan. Par l'usage de retours en arrière, par l'usage d'images où se lit de nombreuses analogies et métaphores liées à la vie du personnage principal mais aussi en lien à ses propres doutes et ses interrogations. Un film sans véritable méchant ni vainqueur, un peu à l'image d'un potentiel conflit nucléaire où c'est toute l'humanité qui serait perdante.
Le duel que se livre d'une part Robert Oppenheimer et de l'autre par Lewis Strauss préfigure ce que sera la guerre froide entre les deux blocs.
C'est tout un pan de l'histoire mondiale qui est donné à voir ici.
Ce film se regarde comme une enquête ; au fil des images, on en apprend toujours plus, tant sur le plan scientifique que sur le plan historique. A tel point que le fil est si captivant qu'on en oublie les trois heures que dure ce métrage.
Des images resteront gravées dans votre esprit comme l'explosion test de la première bombe atomique dans le désert d'Alamogordo où Nolan nous montre le moment de la déflagration dans le silence le plus total, comme s'il voulait montrer cette seconde précise où le temps s'est figé ; l'humanité, à cet instant, à cette seconde, entrant dans une nouvelle ère. C'est fort, c'est puissant et l'on retient son souffle.
Un très grand film dont la dimension historique marquera l'esprit du spectateur. Mais aussi, hélas, un questionnement derrière l'oeuvre en résonance avec l'actualité contemporaine. Car l'humanité, aujourd'hui comme hier, possède toujours en elle les germes de sa destruction.