Un homme perdu dans le désert et qui avance, déterminé…
Une jeune-fille en quête de film, n’importe lequel, pourvu qu’il soit bien matériel…
Un peuple mis en branle par le cinéma, en quête de cette magie qui donne soudainement du sens…
Il y a un peu de tout et de tout le monde dans ce One Second.
Il y a nous. Il y a moi. Et puis surtout il y a Zhang Yimou ; cet homme dans le désert.


L’air de rien cela fait un long moment qu’on l’avait perdu de vue Zhang Yimou. Son dernier film, Shadow, sorti en 2018, n’avait pas eu le droit à une sortie en salle en France. Avant ça il y avait eu La Grande Muraille en 2016 qui, lui, avait bien connu l’honneur des salles hexagonales mais qui, au regard de la purge filmique qu’il constituait, n’était pas à même de rappeler au bon plaisir du maître Zhang.
Au fond, avec ce One Second, l’auteur de Epouse et concubines comme de Hero ne sort pas non plus totalement du désert. En ce qui nous concerne il a pu trouver sa place dans quelques cinémas belges ; là où il a pu être vu par un bon-ami avide de grands films et qui m’en a fait les éloges.
De là, pour moi l’affamé, il fut bien difficile de résister. Impossible de ne pas chercher à subtiliser une bobine au passage…
…A moins que ce ne soit moi l’homme dans le désert.
Je ne sais plus. Je crois qu’au fond on l’est un peu tous.
On est tous un peu tout le monde…


Car oui – ode au vrai film – ce One Second présente ce grand mérite de soudainement remettre tout le monde à égalité, quelque soit sa particularité, quelque soit sa condition. Et quand je parle de vrai film il faut savoir n’y percevoir aucun jugement de valeur. Dans ce long-métrage, le mot « film » est ici à prendre dans toute sa littéralité.
Dans toute sa matérialité.
Car il sera bien question de bobines dans ce One second. De la bonne vieille pellicule se baladant à travers la Chine maoïste… Un ensemble de cellules se juxtaposant mais qui, en se mettant en branle, génère soudainement une vie inattendue.
C’est la première surprise offerte par ce One Second : le fait de placer le cinéma là où on ne l’attend pas.
Le désert. L’aridité. Les visages crasseux.
Tout manque, mais c’est pourtant le cinéma qui donne vie.
C’est le cinéma qui fait traverser à Jiusheng le désert au péril de sa vie. C’est ce même cinéma qui le conduit à faire la rencontre insolite avec Liu l’orpheline. D’abord simple McGuffin bien artificiel, la bobine devient rapidement ce qui va donner de la texture à tout cet ensemble sitôt prendra-t-elle la peine de se dérouler.


Car s’il faut d’abord savoir se montrer patient à l’égard de ce dernier Zhang, celui-ci pouvant nous laisser sur notre faim au regard du temps qu’il met à disposer ses éléments, le fait est que le vieux maître parvient malgré tout à nourrir le cinéphile averti en attendant.
Photographie sublime. Décors saisissants. Visages puissants. One Second sait poser les éléments pour transcender la sécheresse et nous régaler. Puis à force de dérouler sa pellicule, le film finit par parler, par donner vie, par (é)mouvoir.
De prime abord un brin balourde, l’approche faite ici en abyme du cinéma se révèle de plus en plus subtile. On célèbre tantôt l’objet, l’artisan, la technique ou bien même tout simplement les petites mains sans qui le film ne peut espérer être projeté en salle…
…Et puis surtout on célèbre le cinéma en lui-même.


One Second ne nous dupe à aucun instant sur la nature de Jeunesse héroïque, ce film de propagande maoïste visant à faire s’engager en grand nombre les masses populaires dans les rangs de l’armée ou de la garde rouges. Bien que pudique sur la question – mais saurait-on reprocher à Zhang de rester fidèle à son sens de la mesure – One Second n’élude pas le contexte. Il n’élude pas la tension, le conditionnement et la misère. Mais malgré tout ça il rappelle aussi ce qu’est le cinéma. Le cinéma reste un bel objet à la fois dans toute sa matérialité comme dans ce qu’il porte en lui. Même dans le cadre d’une propagande serrée il peut se montrer beau. Il peut générer des moments forts. Des moments qui portent. Des moments qui fédèrent et nous reconnectent à notre humanité…


Bien évidemment ce film n’est pas anodin dans la filmographe de Yimou. Après avoir réalisé un blockbuster au service du soft power chinois (la Grande muraille) puis un spectaculaire film « de capes et d’épée » redorant de manière flamboyante le passé national du grand Empire du Milieu (Shadow), Zhang a toujours dû composer avec le pouvoir en place.
Tantôt l’accompagnant, tantôt le fustigeant poliment, Zhang est un auteur qui, au fur et à mesure des mouvements de marée et de ressac du régime à l’encontre des opposants, va s’efforcer de tisser son art et d’apporter sa contribution et son expression personnelle à ce grand art universel qu’est le cinéma…
…Et force est de constater qu’il y parvient toujours, encore aujourd’hui, en 2020/2022.


One Second est au fond un fragment de vie, un de plus, que Zhang glisse dans notre poche ; un fragment qui à lui seul n’est rien mais qui, sitôt est-il mis bout-à-bout avec tout les autres – avec l’aide de chacun – est susceptible parfois de matérialiser ce qui n’était jusqu’alors un rêve, un souvenir ou un espoir.
Ainsi, comme s’inscrivant dans une longue lignée, Zhang redonne vie à cette gamine qui, le temps d’un fil d’actualité, a su émouvoir un homme au point de le faire traverser tout un désert. Un demi-siècle plus tard, il remplace cette pellicule usée abandonnée dans le désert de l’oubli pour la remplacer par quelque-chose d’autre, de tout aussi matériel, et qui parviendra sûrement à mouvoir et émouvoir d’autres personnes de par le monde.


En tout cas, pour ma part, ce One Second m’a fait beaucoup de bien.
J’avais perdu Zhang Yimou dans le désert et j’ai été heureux, le temps d’un film, de le retrouver.
Avec ce film se rallume dans mon cœur une lanterne rouge, volent à nouveaux les poignards et s’aiguisent les lames du héros sans nom.
Avec One Second c’est tout un cinéma qui ressurgit,
Même si au fond il n’avait jamais été vraiment disparu,
Comme quoi il suffit juste parfois d’une étincelle de vie,
Pour que se réanime tout un monde qu’on pensait à tort révolu…

lhomme-grenouille
8

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Créée

le 26 déc. 2022

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