De Kelly Reichardt, j'avais aimé Night Moves. Plus récemment, Certain Women m'avait bien plu aussi. J'allais donc voir Old Joy (2006) avec un préjugé favorable.
L'argument du film est assez simple : deux trentenaires, anciens potes ayant évolué différemment, décident, à l'initiative de l'un (Kurt), d'effectuer un week-end de marche en forêt jusqu'à des sources chaudes, dans la chaîne volcanique des Cascades, du côté de Portland, au nord de l'Oregon.
La réalisatrice donne un caractère assez énigmatique à son (bref) long métrage. Elle montre les choses sans les expliquer avec des mots, ni inventer des péripéties exceptionnelles. Elle nous fait vivre les rapports entre les deux randonneurs (Kurt, le beatnik célibataire, et Mark qui, lui, s'est rangé, marié avec bébé en route, et a sûrement un boulot régulier, donc assez de thunes, etc.), nous fait sentir qu'avec les années, ils se sont éloignés l'un de l'autre, et aussi que l'influence apaisante de la nature les rapproche, au moins momentanément, dans une sorte de communion panthéiste.
L'histoire a peut-être une tonalité un peu triste, mais comme le dit Kurt, le beatnik barbu que joue Will Oldham (et c'est la seule phrase lourde de sens du métrage) : "La tristesse, c'est de la joie passée" (en somme, la nostalgie d'un temps où l'on était heureux). Cette tristesse émane surtout de Mark (Daniel London) qui, en assumant des responsabilités d'adulte (il travaille, sa femme est enceinte), a accepté de vieillir. Au fond, Kurt ne suggère-t-il pas, très en douceur, à Mark de re-goûter (de temps en temps) à cette joie d'avant ? C'est en tout cas mon interprétation du film et de ce week-end de retrouvailles.
J'avoue m'être légèrement assoupi vers le milieu du film (qui correspond à peu près à la nuit qu'ils passent dans une clairière pleine de déchets), et cela a renforcé son côté mystérieux, comme mon envie de le revoir. J'ai trouvé le métrage sensible, vrai, frais, beau, paisible. Une ode minimaliste à la nature, à la lenteur, au silence (à peine troublé par le chant des oiseaux qui, manifestement, fascinent la réalisatrice), ainsi qu'aux relations amicalo-amoureuses qui ne disent pas leur nom et où chacun respecte l'autre. Tout cela transcendé par une superbe et poétique photographie de la forêt et des rivières de l'Oregon, et une bande son qui vous berce doucement entre rêve et réalité.
Envie donc de revoir Old Joy, cette fois dans l'intégralité de ses 76 minutes, et coup de coeur pour Kelly Reichardt, son extrême pudeur, sa délicatesse et sa façon de montrer, de dire les choses, autrement que par les mots.