Le dernier jour du reste de ta vie

M. Night Shyamalan continue son éternel retour en tirant une nouvelle cartouche rutilante là où nombreux sont ceux à lui prêter un barillet déjà vidé depuis longtemps.


Un film rutilant mais qui, il faut le dire, se rangera davantage dans une ligue plus mineure avec une place toute trouvée auprès du précieux The Visit. A partir de cette prise de conscience là, notamment amenée par une mise en situation à toute allure, le plaisir n’a plus qu’à nous parcourir au visionnage de cette histoire de survival balnéaire. Survival centré sur une plage qui se révèle être (sans spoiler davantage que la seule bande-annonce ici) un accélérateur de petites ridules bien embêtant.


L’histoire est adaptée de la bande dessinée Château de sable de l’auteur Pierre-Oscar Lévy et du dessinateur Frederik Peeters (une BD d'à peine une centaine de pages, cette concision narrative pouvant expliquer celle du film). Celle-ci avait été offerte à Shyamalan par ses filles il y a de cela quelques années, il a adoré, il en a fait ce film. Si tout pouvait toujours être aussi simple. A la différence du tournage qui apparemment n'aura pas été une mince affaire de logistique puisque filmé en pleine saison des ouragans en République dominicaine (https://www.youtube.com/watch?v=aj312PIVWlA).


Life's a beach


Le récit qui va se dérouler restera d’ailleurs toujours simple à appréhender de par sa linéarité, le tout étant une grande marche en avant forcée pour les personnages qui devront comprendre ce qu’il se passe pour commencer à essayer de trouver une solution. Le vieillissement des uns et des autres apporte une dimension plutôt viscérale, quelque peu philosophique et par certains moments grandement émotionnelle.


Shyamalan n’est pas là pour pousser tous les curseurs de l’horrifique (c'est moins un film d’horreur qu'un thriller fantastique) et ouvrir des valves de twists pour provoquer de grandes embardées. Il sait probablement très bien, en tant que raconteur hors-pair, la vanité de telles démarches. Il n’a pas non plus des heures de pellicule à nous vendre pour développer son histoire, là où avec sa série The Servant il peut se permettre de faire infuser ses retors scénaristiques.


Il s’en tient donc à une réalisation à l'os, non pas sans style quand il s’agit de sous-entendre complètement en hors-cadre les poussées de croissance des uns, la déliquescence des autres et les évanouissements d’à-peu-près tout le monde. Il y a même un segment du film (le deuxième quart), où tout s’accélère encore un peu plus, et qui paraîtra un peu ingrat, saccadé par certaines ellipses qu’il s’agit d’avaler à la volée mais qui aura ainsi le don de nous décontenancer et de nous désorienter en parallèle des personnages. De plus, grâce à ce montage à sec, cette plage demeurera mystérieuse d'étrangeté en ce qu'on n'arrivera pas facilement à se recréer la carte mentale du lieu, même si le décor central ne se résume qu'à de la roche, du sable et de l'eau.


La mortalité retrouvée


Encore mieux, même si jetées dans ce contexte fantastique forcément peu naturel, les interprétations parviennent à tenir la distance de l'uncanny valley imposée et à habiter avec grâce les cadres épurés et les amples mouvements de caméras dont semble se délecter Shyamalan. Certaines séquences pouvant d'ailleurs relever de l'expérimentation visuelle avec ce que cela peut avoir de convaincant (le "un, deux, trois, soleil!" virevoltant) mais aussi de plus mitigé (certains évanouissements formellement plus farfelus). On pourra soupçonner la version originale d'être d'autant plus convaincante, notamment parce qu'à un moment le personnage de Thomasin McKenzie chantera -l'occasion d'entendre sa voie anglaise à elle, duveteuse et suspendue- et nous de ressentir la présence d'interprétations semblant d'autant plus touchantes sous le mascara du doublage.


Pour ce qui est de la fin, twist ou pas twist ? Il serait malvenu de le préciser ici, ce serait un spoil en soi. Mais disons que la fin ne fait pas d’ombre à ce qui l’a précédée et inscrit le film dans une dynamique "grand public". On précisera juste que Shyamalan ajoute à son histoire des éléments absents de la BD et qu'il n'avait pas arrêté, encore deux semaines avant la sortie, le dénouement de son film (même si cela devait être ici plus une affaire de montage qu'une direction narrative à trancher).


1h48 plus tard le temps a passé, le plaisir a été consommé, un plaisir moins de cinéphile qu’un vrai plaisir de spectateur, ce qui démontre la visée populaire du cinéma de Shyamalan même s'il ne rencontrera qu'un succès commercial et critique très relatif par rapport à d'autres films. Cependant, ayant lui-seul financé avec de petits budgets ces 4 derniers films dont Old, il s'y retrouvera plutôt bien sur l'ardoise finale des dépenses et des recettes.


En définitive, il ressort de ces frissons émus et de ces visions saisissantes sur le temps qui s'enfuit, un film sans faste et fringuant comme une première réalisation et dont la beauté du geste empêche de regretter la double injection aujourd'hui nécessaire pour fouler les cinémas du pied. D’ailleurs, de ce film, j’en reprendrai bien une deuxième dose.

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le 21 juil. 2021

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Vagabond

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