Le réalisateur norvégien Erik Løchen avait déjà montré dans son premier et précédent long-métrage Jakten, tourné treize ans plus tôt, qu'il aimait plus pousser le spectateur ou la spectatrice à se poser des questions plutôt qu'à lui donner des réponses. À travers les influences de Brecht et du Nouveau Roman et à partir pourtant d'un banal triangle amoureux, le cinéaste avait réussi une oeuvre totalement pas comme les autres, par le biais de techniques narratives qui sont autant d'occasions de multiplier les formes de distanciation. Bon, je m'interromps ; je ne suis pas là pour vous parler de Jakten (je vous invite pour ce film à plutôt consulter la critique que j'ai écrite dessus !), mais d'Objection, son second et dernier long-métrage (oui, seulement deux en tout dans la carrière du Monsieur !).


Euh, comment dire ? L'ensemble dure 97 minutes. Le tout est divisé en cinq segments. Ces derniers peuvent se regarder dans n'importe quel ordre. Ce qui veut dire que vous avez la possibilité de choisir entre 120 versions différentes. Si vous avez 11 640 minutes disponibles dans votre emploi du temps... Sans blague, on peut visionner le schéma original A-B-C-D-E de 1972 ou celui E-B-A-C-D de 1980 ou n'importe lequel des 118 autres (en recourant à votre mémoire !). C'est vous qui décidez.


Oui, mais là, vous allez me demander ce que raconte ce fichu film ? Je vais répondre que c'est vous qui devez vous faire votre propre histoire. Erik Løchen montre, mais n'explique jamais.


Ce qui est montré, c'est une équipe de tournage du pays d'Ibsen, dans le contexte de l'époque de la guerre froide (avec moult références cyniques à ce contexte !), qui met en scène un film dont le sujet semble être celui du film que l'on est en train de regarder. Ce n'est un secret pour personne que rares sont les œuvres cinématographiques filmées dans l'ordre chronologique du scénario. Ben, on a l'impression de cet ordre aléatoire du fait que l'on suit un tournage. Il y a des séquences ayant l'air de se passer lors de la Seconde Guerre mondiale, d'autres à l'époque actuelle (la guerre froide donc !). Il y a un vol de documents compromettants. Il y a l'air d'avoir une romance impossible, détruite par les aléas insensibles de la grande histoire. Reste qu'étant donné qu'il y a des trous, que cela ne suit pas un fil narratif de A à Z, c'est dur de dire quoi que ce soit à ce niveau-là.


Et comme si tout ceci n'était pas suffisamment ardu pour griller sa cervelle, il y a des moments lors desquels on ne sait pas si on a affaire à des personnages du film tourné ou à des membres de l'équipe (même pour les acteurs du film tourné, agissent-ils en tant que personnages ou comédiens ?). Les frontières sont parfois confuses.


Bref, en seulement deux longs-métrages, Erik Løchen laisse apparaître un goût prononcé pour niquer bien profond les conventions cinématographiques, pour perturber tout aussi profond les spectateurs et spectatrices. Mais je n'ai pas eu l'impression d'un élitisme ou de quoi que ce soit de négatif. J'ai eu à la place celle d'un artiste expérimental voulant stimuler l'esprit de celles et ceux qui contemplent son œuvre, nourrir son plaisir d'interpréter. Je vous garantis qu'il y a de la matière dans ce domaine.

Plume231
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le 12 août 2022

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