"Je n'ai aucun goût pour l'errance. J'ai manqué l'amour qui m'était destiné."

Cette moyenne sur senscritique est vraiment surprenante ! Assez incompréhensible même...elle laisse penser à un film trop simple, qui a manqué le coche, décevant ou qui n'a pas tenu ses promesses. Le genre de film à ne voir qu'une fois, et encore...


"Nuits d'ivresse printanière" est une histoire d'amour. Une de ces histoires vouées à l'échec depuis leur commencement, comme liées dès leur naissance au genre de la tragédie.


Ce film est comme une suite d'instants volés, il dépasse véritablement la notion de "film". Ce n'est pas une histoire qu'on nous raconte, c'est une histoire dont on se retrouve les témoins.
Habillé d'une somptueuse lenteur, d'un silence presque total, et servi par la grâce d'une immobilité relative, le film dit en deux heures ce qu'il pourrait dire en une. Mais il le dit avec conscience, avec délicatesse, avec élégance et surtout, avec poésie. L'harmonie règne entre le charme du langage et celui du silence. L'un appelle l'autre, l'un valorise l'autre : les mots sont beaux de par leur rareté, le silence prend sa force en entourant citations et poèmes de son enveloppe lourde de sens.


Ne vous étonnez pas de la qualité d'image, parfois assez mauvaise. Ce film est un acte de résistance, tourné dans l'ombre et sans autorisation. Avoir fait abstraction des autorités chinoises ne le rend d'ailleurs que plus intéressant et plus fort, et il n'en reste pas moi beau, la qualité ne fait pas tout, l'intention est là. Comme dans ce plan où on voit Jiang devant un miroir où plane le reflet de son amant. Ou même dès les premières minutes, où une fleur évolue lentement à la surface de l'eau...


C'est un film à regarder, à contempler, et à pleurer. Pleurer de voir cet amour, si fort et si touchant, réduit en cendres par les méandres de la vie. De voir tous ces personnages détruits, parce qu'au fond aucun ne pourra plus jamais être heureux. Rongés par la culpabilité, hantés par la moitié d'âme qu'ils ont perdue en même temps que l'être aimé qui la portait, ils errent.
Aucune lueur d'espérance ne vient habiter ce film. Et nous verrons dans les larmes de Jiang l'expression d'un amour sincère dont il n'a pas conscience. Tel le héros romantique, solitaire, emprunt du mal de vivre, son personnage se résume en une seule et unique phrase : "Je n'ai aucun goût pour l'errance. J'ai manqué l'amour qui m'était destiné". Pour lui c'est un début, une prise de conscience, mais aussi une fin car c'est la mort de tout espoir pour lui d'être heureux à nouveau. C'est en fait la révélation douloureuse qui laissera sa vie à jamais brisée.


"Le ciel est couvert de légers nuages gris blanc qui ressemblent à des corps décomposés.
Lorsqu'ils se déchirent, on aperçoit à peine deux étoiles.
Dans le sombre qui entoure ces étoiles,
émerge la couleur du ciel comme s'il contenait une tristesse infinie."


Note : Sur le site, au sujet de The tree of Life, un membre a prononcé ces mots : "Le monde n'est pas prêt pour ce film". C'est vrai. Tout comme pour la majorité des films dits "contemplatifs". Tout comme il n'est pas prêt pour celui-là. Et cela changera le jour où le monde sera prêt à comprendre qu'un film où "il ne se passe rien" peut faire passer absolument tout !

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le 2 mai 2012

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emmanazoe

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