Un simple Tik Tok décrivant le film comme un « rêve de fièvre » m’a convaincu de découvrir Nowhere. De nos yeux de la Génération Z, le troisième volet de la trilogie « Teenage Apocalypse » de Gregg Araki porte en effet tous les codes du film dit « instagrammable » ou « Tumblr ». Le réalisateur lui-même joue avec ce cliché des ados rebelles en quête d’existence, de ces personnages un peu superficiels aux surnoms pseudos gothiques (« Dark », « Lucifer ») pour dérouler en réalité des questionnements dont ma génération ne s’est toujours pas dépêtrée.

Dans ce film, tout est questionné à travers les yeux de Dark (interprété magnifiquement par James Duval, incarnation ultime de la jeunesse désabusée dans cette trilogie sur l’adolescence d’Araki) ou du reste de cette galerie interminable de personnages dont nous oublions le nom dès qu’ils ont quitté l’écran. L’amour, la fidélité, le sexe, l’homosexualité, l’amitié, la drogue, l’alcool, les troubles du comportement alimentaires, les violences sexuelles, la religion jusqu’à la conscience d’être une génération condamnée à assister à l’effondrement, rentrant pleinement en résonnance avec l’éco-anxiété ambiante.

Pourtant, jamais Araki ne nous étouffe avec ces sujets. Certes, une sensation de vide nihiliste bourdonne tout au long du film, nous laissant perdus entre la flopée de personnages hauts en couleur (dont l’un joué par la très jeune Chiara Mastroianni) et de situations qui s’enchainent dans un rythme quasi effréné, tombant même dans la science-fiction de série B pour faire métaphore des cris d’alertes inaudibles de la jeunesse face aux dangers planant sur notre société. Dans le film d’Araki, les personnages sont toujours entourés mais se sentent seuls, tristes et blessés, dans ce nulle part qu’est Los Angeles, sentiments latents tout au long de l’œuvre mais aussi clairement exprimés par Dark, personnage le plus conscient de cette situation. De cette manière, Araki se place dans la filiation directe de Bret Easton Ellis et son Moins que Zéro, explicitement référencé dans l’œuvre. Mais, au contraire du cri de détresse d’Ellis, Nowhere est plus un cri du cœur puisqu’une joie persiste dans l’absurdité de l’existence, dans les violences et l’angoisse. Une résilience et une véritable envie de vivre, de danser et d’aimer se dégagent de ce tourbillon de personnages et de situations. L’on ressort de ce visionnage sonné, un peu ivre, abattu et rempli d’énergie en même temps.

Pour ces raisons, le film d’Araki ne saurait devenir qu’un Tik Tok à l’esthétique rétro plaisante, ou un film décalé à regarder entre copains, un samedi, un peu défoncés. Ce long-métrage est l’un des plus beaux portraits de la jeunesse qu’il m’ait été donné de voir sur un écran, ne détournant jamais le regard de la violence et des angoisses bien réelles de la jeunesse face au plongeon dans l’existence et ses méandres à l’âge adule, mais se refusant d’en tirer une conclusion sans-issue. Nowhere est la jeunesse : perdue mais toujours en mouvement, violente mais pleine d’amour, angoissée mais remplie de vie et d’espoir.

ThomasTricottet
10
Écrit par

Créée

le 30 mars 2023

Critique lue 7 fois

Critique lue 7 fois

D'autres avis sur Nowhere

Nowhere
Citizen-Ced
7

Ado-calypse

Sorte de plongée psychédélique dans la journée d'une bande d'ados, Nowhere c'est un peu un condensé de tout ce qu'on a dans la tête à cet âge là : un gros bordel mélant rêves et désillusions, amour...

le 26 mai 2014

24 j'aime

Nowhere
Velvetman
9

Generation X

A Los Angeles, plane un air lancinant qui chuchote ses chansons mais voit siffler un refrain malheureusement aussi inquiétant. Sous ce soleil doré, la jeunesse est grivoise, droguée et enjouée mais...

le 17 sept. 2018

23 j'aime

1

Nowhere
Le_Prophète
9

Nowhere Boy.

Lorsqu'on regarde un film de Gregg Araki, il faut déjà commencer par s'imaginer que la moitié des humains sont gays, ça enlève quelques surprises. Faut aussi s'attendre à quelque chose d'assez...

le 19 janv. 2013

20 j'aime

2

Du même critique

Shazam!
ThomasTricottet
7

Critique de Shazam! par Thomas Tricottet

Drôle, agréable et sympa: Shazam! donne ce que on attend de lui, un film qui fait passer un bon moment. J’ai justes quelques réserves sur « l’équipe », je veux pas spoiler donc ce qui ont vu le film...

le 18 oct. 2019

Aquaman
ThomasTricottet
6

Marvel-lous

Bon commençons par le positif: Jason Momoa est un super casting, il a réussi à rendre crédible et agréable un personnage qui n’a jamais pu être pris au sérieux (du moins du grand public comme moi qui...

le 17 oct. 2019

Justice League
ThomasTricottet
5

Doit-on condamner Justice League ?

Justice League est-il vraiment si mauvais ? Alors oui, l’intrigue va trop vite et ne prend pas trop le temps de nous faire nous y intéresser, y a pas une fois on j’ai pris le méchant au sérieux ni...

le 16 oct. 2019