Je commence à être familier du travail de Sonia Kronlund, en particulier à la radio, dans son émission "Les pieds sur Terre" diffusée sur France Culture. J'aime beaucoup son parti pris de reportages sans voix-off, qui laissent s'exprimer les concernés sans nous fournir de grille de lecture pré-mâchée. Si j'en parle ici, c'est que l'on retrouve cette démarche salvatrice dans "Nothingwood", qui brosse le portrait d'un cinéaste afghan complètement allumé, dont la mauvaise foi fait autant le charme que sa sincérité désarmante.
Salim Shaleen a réalisé un paquet de ce qui ressemble à de sacrés nanars, et en tire une grande fierté, car il tourne sans argent et avec sa condition d'homme peu éduqué, y compris au cinéma. Au début, on se moque de son arrogance, des quelques scènes d'action cheap qu'on nous montre, ou des dialogues surjoués. Et puis on s'attache à ce qu'il convient d'appeler un personnage, tant sa démarche semble sincère.
La prouesse de ce documentaire réside à mon sens dans les multiples ambiances qu'il fait se mélanger harmonieusement. Pour grotesques que soient les films de Shaleen, pour exubérant qu'il soit, pour hilarantes que soient ses relations avec ses amis acteurs et techniciens, il n'en reste pas moins que le documentaire se déroule en Afghanistan, pays régulièrement meurtri par les attentats, en proie à un islamisme barbare et aux convoitises de l'occident. Tout cela, le film le montre, ou plutôt le pose comme décor de fond. C'est aussi un pays dont Kronlund se dit amoureuse, et cela se sent : on contemple les montagnes autant qu'elles nous contemplent, on est touché par la sociabilité des habitants. Réussir à donner un aperçu de toute la complexité d'un pays tout en restant accessible, c'est un exploit dont on doit créditer le film.
"Nothingwood" est un beau témoignage, qui met son contenu à sa hauteur, fait preuve d'empathie, et crée de ce fait l'enthousiasme. Si vous pouvez, voyez-le, tant il est précieux de regarder ailleurs.