La pionnière intrépide

Culturellement, tout d'abord en Irlande puis dans le reste du monde, il y aura eu un avant et un après Sinéad O'Connor.

Née en fin d'année 1966, la future artiste est issue d'une famille ultra catholique et subit, à l'instar de ses frères et sœurs, la violence physique et psychologique que sa mère fanatique lui fait quotidiennement endurer. À l'âge de 13 ans, elle part vivre avec son père et affiche sa rébellion en séchant les cours et en s'adonnant à de menus larcins. Pour la punir, son père la fait interner dans le couvent de la Madeleine, impitoyable institution destinée à la rééducation des "femmes perdues" et où elle passera quelques nuits traumatisantes dans l'hospice où sont littéralement abandonnées les mourantes. Le film The Magdalene Sisters, réalisé en 2003 par Peter Mullan (qui narre l'histoire de la mère du réalisateur qui fut internée de force dans le couvent), reste certainement le témoignage le plus réaliste des atrocités qui s'y sont déroulées.

Dans un état de panique, de terreur et de souffrance, Sinéad se voit finalement internée dans un établissement nettement moins strict en 1983 où elle exacerbe enfin ses talents pour l'écriture, la musique et le chant sous la férule de l'un de ses professeurs. Très influencée par les textes de Bob Dylan, elle intègre d'abord un groupe avant d'aborder une carrière solo qui la propulsera au firmament de la célébrité.

Réalisé un an avant la mort de Sinéad O'Connor, Nothing Compares fusionne l'icône de la pop et l'être humain en révélant ses facettes les plus vulnérables et les plus exposées entre 1987 et 1993. Sous le regard passionnée et féministe de la réalisatrice Kathryn Ferguson, le documentaire nous guide au cœur du parcours flamboyant d'une artiste ayant refusé toute concession au sein d'une industrie musicale irlandaise ultra patriarcale. Après avoir boycotté les Grammy Awards et refusé à ce que l'hymne national des États-Unis soit joué avant ses concerts au pays de l'Oncle Sam lors de la première guerre en Irak, Sinéad déchire une photo du Pape Jean-Paul II en direct à la télévision pour protester contre les dissimulations d'abus sexuels par l'Église catholique. Des actes qui se verront fustigés par l'ensemble de l'industrie musicale planétaire (dont Frank Sinatra et Madonna). Malgré la violence des attaques, Sinéad ne vacillera jamais et continuera perpétuellement à rester intègre face à ses propres valeurs tout en se voyant éloignée (même par son proche entourage) des courants dominants... jusqu'à sa mort survenue au cœur de l'été 2023 à l'âge de 56 ans.

"Sinéad était déjà non-binaire, intersectionnelle et féministe des décennies avant d'autres chanteuses" révèle la musicienne Peaches face à la caméra de Kathryn Ferguson. Cette dernière reliant ici la novation de la chanteuse irlandaise aux pertinents propos féministes actuels de Kathleen Hanna, Skin ou encore Billie Eilish. Alors bien sûr, certains n'y verront inévitablement que de simples allégations woke en lieu et place d'un documentaire exceptionnel révélant une artiste blessée, traumatisée, révoltée et aussi pertinente qu'éloquente dans son discours. Tant pis pour eux. L'essentiel est définitivement ailleurs...

Sinéad 4ever ♡