C'est un film très courageux qui s'affranchit de nombreux codes, qui est conscient d'aller à l'encontre de la plupart des attentes de son public. Je fais partie de ce public démuni face à un objet assez perturbant. Pourtant, j'ai été touché par la beauté du défi, et je compte bien dire qu'il est réussi, car c'est le genre de film qui me motive assez pour faire ma première critique ciné !



Mauvais points (ou pas!):



Pour mon amie qui a découvert le film en salle avec moi : rien ne va, tout est maladroit, bizarrement incompréhensible, et elle y reconnaissait volontiers un film raté. C'est peut-être tout le contraire.
- On reproche au rythme d'être plat, mal géré, mais il s'agit d'une rupture avec le rythme calibré des films comportant drame et action. Ici, nul besoin de tension à la fin de chaque scène clef, puisqu'il n'y a pas de suspens (ce serait bien maladroit de vouloir nous faire croire que le dénouement pourrait être autre chose que le succès de la folle entreprise des villageois partis libérer la belle enfermée dans le château). Le rythme est monotone car il ne s'agit pas de nous faire éprouver quelque tension que ce soit : les scènes se suivent chronologiquement sans la moindre cassure, avec douceur.
- L'intrigue est désignée comme pauvre ou peu originale. Encore une fois, le film n'a même pas besoin de nous surprendre avec une histoire rocambolesque ou inattendue, et la manière de montrer suffit à en faire un chef d’œuvre. Un bon coup de Flaubert pour ceux qui ne l'ont pas vu venir : "Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c'est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style [...]" (et le reste de la citation vaut le coup d’œil pourtant!) C'est la même chose, un film qui ressemble à un conte pas vraiment cruel, dont l'intérêt repose dans la poésie des images (visages aux traits éloquents, paysages presque irréels, course-poursuite dans les forêts du Lot, combats à la lueur de l'épée ou des torches qui dansent...).
- Le jeu des acteurs est lui aussi perçu comme un problème : on croit reconnaître une erreur là où il n'y a qu'un parti pris logique. Le jeu semble neutre, peu habité, car on n'écoute pas des personnages psychologiques mais des archétypes (un peu comme dans les nouvelles fantastiques avec des alchimistes qui ne sont rien d'autres que des vieux fous mystérieux dans un laboratoire, des paysans qui ne sont que l'incarnation de la vertu chrétienne ...etc), pas d'identité perceptible donc. Seulement un statut, une fonction, et une action : sauver la vierge en distribuant des coups de marteaux géants.


Cela m'amène à parler de l'univers du film, qui m'a tout de suite fait penser à celui du bédéiste François Bourgeon (notamment Les Compagnons du crépuscule, que le réalisateur à certainement lu, j'en mettrais ma main au feu quand je pense à tous les points communs entre ces deux œuvres). Et le plus fou dans tout ça, c'est qu'on retrouve aussi les codes de la BD ! Quelqu'un pourra peut-être mieux expliquer que moi cette impression que j'ai eu de regarder des cases de BD en mouvement. En tout cas, on frôle le fantastique avec les gardes qui portent des masques étranges (mais ce sont bien des hommes dessous) comme chez Bourgeon, sans que cela ne devienne inquiétant.



Bons points (assurément):



- L'absence de vraisemblance. Généralement ça me sort du film, car nous sommes habitués à cette règle tout droit sortie du théâtre classique sans en être toujours conscient, mais ici, c'est enfin réussi! Ni réalisme ni vraisemblance. Les énormes coups de marteau géants qui ne tuent pas, les combats presque aériens de l'étranger pacifiste, le vieillard qui meurt sans broncher et s'affaisse ridiculement sur une musique presque dissonante, les sbires du grand méchant qui se laissent joyeusement chevaucher par sa femme sans aucune honte ni réticence ... Il faut accepter de rentrer dans un univers dont on ne connaît pas les codes, la norme.
- L'absence d'ironie. Car la naïveté n'est pas synonyme de bêtise (un film naïf n'est pas forcément niais, "gnangnan" ou "cul-cul la praline" comme dirait mémé) et on peu encore faire parler les écrivains (Hugo!!, haha qui dit mieux ??) : "La naïveté est le visage de la vérité" (et Baudelaire, encore un! n'en disait pas moins dans ses Écrits sur l'Art). Pourquoi aurait-on forcément besoin d'une distance ironique, du point de vue extérieur et amusé du juge cynique ? C'est un peu réducteur comme posture de réception. Le réalisateur a réussi à me faire descendre de cette posture protectrice, et je me suis laissé porter par une aventure qui s'adresse à l'enfant, à l'inconscient.
- L'absence de gore. Même si ça m'aurait bien fait rigoler de voir que le marteau réduit effectivement des têtes en bouillies, je vous avoue que j'en ai déjà assez vu dans la plupart des films que l'on dit "exquisement transgressifs" et que la douceur était ici la bienvenue. Car le film tout entier obéit à une esthétique de la douceur. Et c'est là le point le plus important. Tous les choix du réalisateur viennent appuyer une atmosphère de douceur, jusque dans la violence. Et à aucun moment cela ne devient trop visible, ni trop contraignant (les combats sont des danses, des enchaînement de mouvement, qui se terminent comme dans certains jeux-vidéos par la chute de l'ennemi, point final). Évidemment, nous sommes nombreux à entendre cette part (un peu effrayante) de nous-même qui dit s'ennuyer ferme, mais ça ne fait pas de mal, au contraire, d'écouter l'autre petite voix qui dit contempler, s'enthousiasmer, rire de bon cœur et pas avec le petit sourire faussement intelligent, rêver, se laisser porter par un épopée intemporelle où la moindre prise de recul est impossible.


Un grand oui donc. Le seul bémol sera le choix du titre qui a attiré le vilain petit anar pour lui montrer un film non politisé, mais très intéressant. (j'ai oublié de dire que tout est tourné à la lumière naturelle et que le château utilisé pour le tournage est dans le même état depuis des siècles, ça ajoute beaucoup à l'atmosphère, très épurée et encore une fois, douce).

Théophile_Laverny
9

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Créée

le 12 févr. 2020

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