Un biopic sur NWA, c'est comme noël avant l'heure en cette fin de mois d'août pluvieux où résonne les sons West Coast balancés par Cut Killer à l'entrée du cinéma, avec en bonus la présence d'Ice Cube lors de la projection. Le film est-il à la hauteur des attentes ? Peut-on raconter l'histoire de ce groupe en 2h30 ? La réponse se trouve dans les prochaines lignes.


En 1988, NWA sort l'album Straight Outta Compton et va contribuer à la popularisation du gangsta rap en racontant de manière crue, la réalité de la rue. C'est une déflagration dans les états-unis reaganienne, une claque à la face de ses puritains de capitalistes. La violence des mots avec le tube Fuck Tha Police, va secouer le politiquement correct et faire de Compton, un quartier connu dans le monde entier, tout comme le groupe.
NWA se compose du dealer, rappeur et leader du groupe Eazy-E, il est le fondateur du label Ruthless Records en le finançant avec l'argent de la drogue, Dr Dre est le producteur et concepteur musical, il est épaulé par DJ Yella en tant qu'arrangeur et aussi à la production, Ice Cube et MC Ren sont les lyricistes et rappeurs avec le soutien d'Arabian Prince. C'est en 1986 que le groupe se forme avec les trois premiers cités précédemment et va prendre son envol avec l'arrivée des trois autres, mais aussi de Jerry Heller, un manager à succès des années 70.


Après cette présentation succinct de NWA, il est temps de parler du biopic. Il se concentre essentiellement sur les trois personnages les plus populaire du groupe : Ice Cube, Eazy-E et Dr Dre. Un choix sujet à polémique, tant MC Ren et DJ Yella sont relégués au second plan, malgré leur apport considérable au succès du groupe. Pire encore, Arabian Prince n'existe même pas, mais on ne va pas se mentir, peu de personne se souvienne de lui, moi le premier.
En prenant cet angle narratif, le film va faire l'impasse sur divers faits en édulcorant la vie de ses jeunes hommes et en éludant la drogue, la vie de famille et les femmes. En dehors de la scène d'ouverture avec Eazy-E (Jason Mitchell), en plein deal avant l'intervention musclée de la police, son statut de dealer n'est pas évoqué. C'est pourtant grâce à son trafic qu'il a pu financer le groupe. Ce n'est pourtant pas un détail, surtout que les paroles de NWA évoque la drogue, la violence et la vie de la rue. Mais cette fameuse rue est aussi reléguée très loin, on passe surtout des studios aux bureaux et inversement. Cette violence est présente entre les membres et les producteurs. Le passage à tabac de Rodney King et des émeutes de Watts sont aussi traités rapidement.


Pour autant, le film reste passionnant, car c'est un plaisir de voir NWA sur grand écran et encore plus d'entendre leurs morceaux dans une salle de cinéma. On bouge la tête au rythme des beats de Dr Dre (non pas ses lucratifs casques, mais ses sons prodigieux) et la réalisation de F. Gary Gray garde la cadence, même si on peut lui reprocher un certain laxisme, surtout lors des émeutes à Detroit. C'est un autre de ses défauts, le long-métrage évoque avec prudence les faits pouvant être sujet à polémique, ce qui est assez paradoxal avec l'histoire du groupe.
C'est avant tout un film de studio, dont l'objectif est de ratisser un large public, en évitant d'obtenir une interdiction au moins de 18 ans. Le sexe, la coke et le sang n'apparaissent pas à l'écran, on reste dans le politiquement correct, une contradiction de plus avec le sujet. On reste dans une certaine accalmie, avant qu'Ice Cube (O'Shea Jackson Jr.) quitte le groupe et pète les plombs. Son interprétation du diss track No Vaseline est un des moments forts du film, comme la réaction du groupe à son écoute. La tension s'installe enfin et le film peut vraiment décoller pour donner la pleine mesure de son récit.


Il y a aussi une absence de processus créatif, aussi bien dans les sons, que les paroles. Cela se fait avec une simplicité peu convaincante. On a l'impression de voir des génies, capables de pondre un morceau en un claquement de langue. Les présences anecdotiques de Tupac, Warren G et Snoop Doggy Dogg, n'apportent rien à l'histoire. Il en va de même pour l'élaboration du Chronic de Dr Dre, entre autres.
En 2h30, le film ne fait que survoler l'histoire de ce groupe controversé, surtout que le parcours de Dr Dre ou Ice Cube, ferait aussi un biopic intéressant, tant ils sont fascinants. Il y a de nombreux raccourcis, oublis et petits arrangements avec l'histoire. Pourtant, cela fonctionne grâce à l'interprétation du fils d'Ice Cube, O'Shea Jackson Jr. Sa ressemblance avec son père et frappante et on a l'impression de voir le vrai évoluer sur l'écran. Il est aussi charismatique que celui-ci et emporte tout sur son passage, avec la puissance de son flow. Jason Mitchell est aussi impeccable en Eazy-E, que ce soit dans la voix ou la gestuelle. Il le ressuscite avec succès, le temps du film. Corey Hawkins n'est pas le sosie de Dr Dre, mais cela ne l'empêche pas d'être un bon acteur. Le trio est impeccable, soutenu par ce vieux roublard de Paul Giamatti en Jerry Heller. On ne peut pas en dire autant avec R. Marcus Taylor en Suge Knight, il en fait des tonnes avec son regard trop méchant et le cigare en permanence aux lèvres, puis il ressemble plutôt à DJ Khaled, ça n'aide pas vraiment.
Enfin, il y a cette absence de personnages féminins. Certes, NWA est un groupe misogyne, mais ils ont tout de même des mères et des femmes, ou petites amies, beaucoup même. On les voit surtout les seins à l'air et les fesses en mouvements autour de la piscine. Elles sont traitées comme des objets, avant d'avoir une place plus importante dans la vie des rappeurs, devenant plus matures avec le temps. Mais cela ne leur donne pas plus d'épaisseur, elles ne font que passer, le film restant concentré sur ses trois "stars".


30 ans après, la virulence des membres du groupe, où du moins celle d'Ice Cube et Dr Dre à la production, a perdu de sa puissance. Avec le succès, ils se sont embourgeoisés, ce qui est normal, même si dans le même temps, le monde n'a pas vraiment évolué. En 1992, c'était les émeutes de Watts. En 2015, ce sont celles de Ferguson et Baltimore, entre autres. Les afro-américains sont toujours la cible des policiers blancs, rien n'a vraiment changé.
Combien d'échecs pour la réussite de NWA ? C'est le groupe qui cache la misère d'un pays toujours incapable de rendre ses quartiers sains. C'est aussi le cas en France, le problème est malheureusement universel.


Le film est un plaisir pour les amateurs de rap et de NWA. Son succès va permettre au biopic de Tupac d'être remis sur les rails et c'est une bonne nouvelle. Dans le genre, il est plus captivant que 8 Mile et Notorious B.I.G., mais bien loin de la puissance émotionnel de Boyz'N the Hood avec Ice Cube ou Menace2Society.

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le 30 août 2015

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Laurent Doe

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