My Love Affair with Marriage
6.7
My Love Affair with Marriage

Long-métrage d'animation de Signe Baumane (2022)

Ce long-métrage animé est une première pour moi, à savoir la découverte d'un film letton. Enfin, pour être plus exact, il s'agit d'un film americano-lettono-luxembourgeois. Et pour être encore plus exact, si la réalisatrice Signe Baumane est lettone, la version originale de l'ensemble est en anglais (d'ailleurs, Matthew Modine prête sa voix à un des personnages !) et l'actrice qui double la protagoniste, Dagmara Domińczyk, est en partie polonaise.


Avec tous ces financements et cette distribution bien internationaux, Baumane s'inspire de sa propre existence, de comment, en URSS (même si ça a malheureusement une portée bien plus universelle !), les femmes étaient conditionnées pour devenir des êtres se pensant inférieurs aux hommes, se devant d'être belles, impeccablement habillées ainsi que maquillées, douces, passives, aux ordres et au service de leur partenaire. Et si, comme pour la protagoniste, Zelma, sa véritable nature est d'être libre, indépendante, prompte à se défendre contre toute forme d'agression sexiste ou autre, la femme doit se réprimer et obéir aux injonctions sociétales (rester vierge jusqu'à l'hyménée, se marier, avoir des enfants… !). Ces dernières, pour le cas de notre héroïne, passent par la voix de trois personnages féminins protéiformes au chant entrainant de sirènes qui, tel un chœur grec, suivent notre soumise insoumise au cours de son parcours de vie.


Mais ce chœur n'est pas la seule originalité narrative, scénaristique ou visuelle, à mettre au crédit de My Love Affair with Marriage. Il y a aussi l'intervention récurrente d'un neurone (oui, oui, vous avez bien lu !), didactique, sensible, un axone taquin, nous expliquant non seulement psychologiquement, mais aussi neurologiquement et biologiquement, avec un grand souci de précision scientifique, de comment se construisent tel individu, tel mode de pensée, tel désir, tel sentiment.


Zelma se marie deux fois. La première fois avec un pauvre type de son pays, bien formaté par l'enfance, par une mère tyrannique et par son organisme pour être un blaireau alcoolique, n'acceptant pas que sa femme soit autre chose qu'une servante répondant à ses desiderata. La seconde, après la chute du bloc soviétique, avec un Danois. Pour cette union, les torts sont nettement plus du côté de l'épousée, ne comprenant pas comment un homme puisse ne pas avoir constamment un comportement dit masculin, étant donné que ce n'était pas du tout dans les mœurs de la culture de son pays d'origine. Même si cela se termine par un divorce, on ne peut pas parler d'échec, vu que cela apporte quelque chose d'incroyablement bénéfique à notre Lettone, lui ouvrant les yeux sur elle-même. En effet, avoir été aux côtés de quelqu'un qui s'assume pleinement peut pousser à s'assumer soi-même pleinement.


Je regrette juste que le tout ne s'étende pas beaucoup plus sur les éventuels rôles que la mère et la grande sœur de Zelma ont pu, éventuellement, avoir sur le caractère du personnage, les résumant uniquement à des silhouettes lors des premières minutes, pour être occultées entièrement ensuite, comme si elles n'existaient pas.


Pour ce qui est de la forme, Bauname a une patte bien personnelle, dont les contrastes sont fascinants, maintiennent toujours en éveil, pour l'œil peu habitué à cette créativité et à cette diversité remarquables, avec ses figures aux yeux écarquillés ; en mélangeant personnages en animation 2D se mouvant en stop-motion, évoluant dans des décors 3D concrets lorsqu'il s'agit du monde réel ; en mettant de la platitude et du coloré dans le dessin lorsqu'il s'agit d'un monde imaginaire. Quant aux parties scientifiques, elles n'auraient pas détonné dans un documentaire de vulgarisation.


My Love Affair with Marriage est un manifeste féministe (n'oubliant pas pour autant d'être nuancé dans la portraitisation de ses caractères !), aussi prenant que riche sur le fond que sur la forme. C'est une très belle porte d'entrée pour moi dans le cinéma letton et il va sans dire que je ne vais en rester là avec Signe Bauname, cinéaste qui a une sacrée dose de talent à revendre.

Plume231
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le 7 juin 2023

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