"Did she ? Didn't she ?..." C'est sur cette interrogation que s'ouvre et se referme cette séduisante fresque de Roger Michell, adaptée d'un roman de Daphné du Maurier, l'ensemble du film se déroulant ainsi à l'intérieur d'une sorte de boucle temporelle.


Boucle cauchemardesque, empoisonnée par le climat qui imprègne nombre de films de Hitchcock, parmi lesquels trois furent inspirés par des œuvres de la même romancière ("La Taverne de Jamaïque" en 1939, "Rebecca" en 1940, "Les Oiseaux" en 1963). On pense d'ailleurs inévitablement à "Rebecca" : crainte de la coupe empoisonnée, atmosphère méphitique, défiance vis-à-vis de l'autre ; le tout dans une vaste demeure isolée ; et la mer, non loin,receleuse d'embûches toujours prêtes à entrer en action...


La comédienne Rachel Weisz, qui prête la régularité de ses traits au personnage éponyme de la "cousine Rachel", excelle dans l'ambiguïté : tantôt madone (elle pourrait d'ailleurs rappeler celles peintes par Munch), en veuve douloureuse éprouvant une sincère et très bienveillante tendresse pour le jeune cousin (Sam Claflin, ardent) de celui dont elle porte le deuil (un deuil dont on doute, alors, qu'elle ait pu le provoquer...) ; tantôt séductrice sulfureuse et manipulatrice, exterminant les uns après les autres tous les hommes de goût qui auraient eu le malheur de s'éprendre d'elle...


L'un des grands mérites du film consiste à préserver jusqu'au dernier plan ces deux hypothèses, fournissant, par vagues successives, autant d'éléments pour nourrir l'une que l'autre. Le spectateur se retrouve ainsi happé dans la même démarche, à la fois prospective et fascinée, que le jeune et impétueux cousin, oscillant entre activité et passivité, ne sachant quand il est parfaitement lucide ou effroyablement injuste.


La reconstitution des intérieurs, des tenues, des lumières, presque même des paysages, aurait-on envie de dire, est belle, et participe à nous immerger dans ce climat du XIXème siècle naissant, où les zones d'ombre étaient plus étendues que les zones de lumière, où une femme pouvait connaître l'action des plantes et être dite empoisonneuse... ou guérisseuse...


"L'a-t-elle fait ? Ne l'a-t-elle pas fait ?"... On ressort de la salle un peu vacillant, tentant de raffermir progressivement ses pas au contact rassurant de la pensée que notre propre vie est un peu moins perdue sur les landes du doute...

AnneSchneider
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le 23 juin 2017

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Anne Schneider

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