"Music" a grandement souffert lors de la sortie de sa bande annonce il y a quelques semaines. Sur base de ces quelques images, des SJW ont descendu le film, l'accusant de dresser un portrait erroné des personnes présentant un trouble autistique (je dirai autiste par la suite, parce que c'est exagérément long à écrire), de n'avoir pas aidé la communauté autiste en n'engageant pas d'acteur autiste, et même de faire circuler des idées totalement fausses (comme la contention). Tout ça sur base d'une bande annonce et de quelques tweets maladroits de l'auteure. C'est d'un triste puritain, ciel !


L'on m'a renvoyé vers un compte instagram pour que je comprenne pourquoi ce film est un problème pour la communauté d'autistes (déjà le fait qu'on parle de communauté d'autiste je trouve ça très con : à partir du moment où on parle d'inclusion, on ne divise pas en mettant d'un côté la communauté X...). J'ai lu quelques postes. Ce qui me gêne déjà c'est que c'est une autiste qui généralise son vécu. Mais ce qui ma surtout surpris, c'est que, juste après avoir rappelé combien le film de Sia est un problème (en citant un article de clé-autiste), la demoiselle nous envoie un poste rappelant les questions qu'un autiste doit se poser en sortant de chez lui:


"Quels vêtements devrais-je porter pour me sentir bien/confortable et que dois-je prendre
avec moi ?(sac, gourde, casque, canne, béquilles, fauteuil, écouteurs, pluie, gants, etc.)
À quelle heure dois-je partir pour être à l'heure ?
Et combien de temps environ vais-je rester là-bas ? Est-ce qu'il y a la possibilité de partir
plus tôt si besoin?
Avec quel moyen je vais m'y rendre ? Avec qui ? Qui sera là-bas ? Est-ce que je reste/dors
sur place ? Si oui, comment ? Si non, avec quel moyen je rentre chez moi?
À quoi ressemble l'endroit où je vais ? (température, lumière, bruit, nombre de personnes
etc.) Est-ce qu'il y a la possibilité de se reposer/s'asseoir ?
Est-ce que j'ai besoin de manger et de boire? Si oui est-ce que je mange/bois avant? Est-ce
que je prends quelque chose avec moi ? Ou est-ce que quelque chose est prévu après ?
Que faire si je me sens mal, mal à l'aise, stressé.e dans cet endroit ?
Est-ce que des gens qui y seront me connaissent/sauraient réagir de manière adaptée ?
Est-ce que j'ai des outils que j'ai pris avec moi ? (casque anti-bruit, l'application emergency chat etc.)" (https://www.instagram.com/p/CK1E1j3Awr9/)


Sérieusement ? L'autiste lambda, donc même pas la forme la plus sévère, doit se poser toutes ces questions ? Mais comment voulez-vous qu'un autiste se fasse engager dans un film Hollywoodien qui plus est, si cette personne stresse dans le cas où un imprévu viendrait bousculer sa liste de réponse ??? Le cinéma, c'est le métier de l'imprévu : on arrive à l'heure indiquée, y a souvent du retard pour X raison(s), on termine on ne sait pas quand, un plan de tournage peut être chamboulé à la dernière minute, il y a tellement de personnes concernées que les horaires individuels peuvent contenir des erreurs, ...


Alors oui, on pourrait aménager un horaire pour l'acteur autiste, et organiser le tournage tout autour de cette personne. Mais le film coûterait plus cher. Sans parler même de l'assurance qui monterait d'un cran. Ou alors on garde le même budget mais l'auteur aura moins pour son film. Ou alors on engage un vétéran ou un réalisateur capable de terminer dans les temps voire à l'avance, genre Spielberg. Ou alors on fait un petit film à petit budget, avec des ambitions moindre techniquement. Dans un petit film d'auteur fauché, oui j'imagine bien l'équipe pouvant se permettre d'organiser les jours de tournage. mais sachant aussi que le tournage reste une affaire compliquée, stressante pour un autiste, et que la prod sera totalement dépendante de la santé de l'acteur. Et donc si cette personne fait une crise et décide de ne plus venir sur le plateau pendant une semaine... le film prendra un sacré coup dans ses finances. Ou alors, on prend quelqu'un d'un trouble léger, très léger. Il paraît que Woody Allen serait autiste, si c'est vrai, ça veut dire qu'il est possible pour certaines personnes atteintes de ce trouble de percer dans ce médium... si c'est vrai.


Le pire, c'est que la réalisatrice a casté une jeune autiste, mais ça n'a pas marché, la jeune actrice s'est sentie trop stressée. On ne sait pas trop si Sia a fait passer des auditions à d'autres autistes. N'oublions pas non plus que ce n'est pas parce qu'une personne est autiste à un certain degré qu'elle peut jouer toutes les formes d'autisme. Ce serait trop facile. Être acteur, c'est prendre des éléments en soi, mais pas que. On peut très bien imaginer qu'un acteur autiste n'ait pas le recul nécessaire, ou bien refuse de jouer telle scène juste parce qu'elle juge que ce n'est pas crédible. Mais être atteint d'autisme ne permet pas forcément de comprendre tous les autistes et ainsi de se hisser au rang de grand savant sur la matière.


On reproche aussi à Sia, dans cet article de cle-autisme, d'avoir demandé des conseils à "Autism Speaks" alors que cette structure ne fait pas l'unanimité... Pire, Sia dit qu'elle ignorait sa réputation sulfureuse... s'en vient alors un argument idiot où on dit que si elle ne savait pas, c'est qu'elle n'a pas fait les recherches qu'elle dit avoir fait. Surtout quand on voit que le film ne se déroule pas dans un institut encadrant des autistes, y avait donc pas trop de raison de faire des recherches sur les instituts.


De même qu'on reproche au film (d'après la bande annonce) de mettre en avant la contention alors qu'il aurait été prouvé que ce n'est pas bon pour les autistes. Sia promet de retirer toutes les scènes de contention. Dans ce film que j'ai vu il y a deux scènes de contention. Je pense que ce sont celles qui étaient dans la bande annonce, elles n'ont pas été retirées... et encore heureux, sinon, le film n'aurait plus aucun sens. Et que montre le film ? Que c'est une solution trouvée par ces gens. C'est ainsi qu'ils arrivent à calmer cette jeune autiste. Ce n'est pas comme si les personnages allaient dans un institut et où on leur disait : c'est ça qu'il faut faire, les contenir. Les gens sont cons. En plus, le film a été fait il y a 4 ans... si Sia avait pu terminer son montage assez vite, il serait sorti en 2017 ou 2018, le contexte aurait été différent, et peut-être que le public aurait pardonné ces 'erreurs'. Mais là on est en post-procès Depp/Heard, et post-#MeToo ; le public a énormément de pouvoirs sous le couvert de l'humanisme. Et donc si quelque chose ne plaît pas, un acteur peut voir sa carrière capoter complétement (qui se souvient encore de Kevin Spacey?)


Après avoir lu plusieurs postes de ce compte, certes j'ai appris des choses, mais je ne vois toujours pas où est le problème d'avoir pris une non autiste pour représenter une autiste. Ou alors il aurait fallu faire un tout autre film. Et en plus, ce n'est même pas vraiment Music l'héroïne, sa soeur Zu prend de plus en plus de place, et tout finit par tourner autour de sa renaissance.


Mais le film est-il bon pour autant ? Non.


L'intrigue n'est pas très développée. Elle n'est pas très dense en premier lieu parce qu'il s'agit d'un film musical : régulièrement, l'intrigue stoppe et on part dans un clip musical. C'est expérimental en fait, et c'est pas inintéressant. Mais ça manque quand même de situations fortes et de conflits. C'est assez convenu dans son déroulement (avec l'ami, la dispute, l'amour, la famille plus importante que tout, ...). Notons aussi un concept mal exploité : le premier clip se fait du point de vue de Music qui redevient même normale on dirait et ce choix est assez fort. Par la suite, on verra que l'intrigue part en clip même quand Music n'est pas là où alors elle est n'est pas trop concernée par la scène qui vient de se dérouler. Et là c'est dommage. Parce que ces expérimentations deviennent gratuites, elles ne s'expliquent plus.


Les clips sont assez chouettes en soi pourtant ! Ce sont sans doute les passages les plus riches, où l'auteure joue des détails, costumes, pour raconter quelque chose, en plus du texte chanté. Par contre, les grimaces de l'autiste sont parfois exagérées, et on croirait voir une caricature ; d'ailleurs je suis surpris que les SJW n'aient pas relevé ça... ha mais c'est sans doute parce qu'ils ont boycotté le film à cause de la bande annonce... mieux vaut rester sur ses a priori plutôt que de construire une argumentation solide avec des faits, c'est plus facile hein.


Autre point qui servirait leur cause : un autiste a besoin de routine. C'est montré pendant 5 minutes au début du film (on ne voit qu'une toute petite partie de la routine de Music, difficile donc de savoir de quoi se composent ses journées normales, mais c'est déjà ça) ; or, la grand mère de Music (qui était sa tutrice) meurt, et c'est Zu, sa soeur, qui va prendre le relais. Zu est une AA, elle dealait de la drogue, sa vie est plutôt instable. Autant dire que question routine, c'est assez mort. Et pourtant ça se passe assez bien. Ebo, le gentil black du quartier va aussi prendre plus de place dans la vie de Music, proposer des promenades inédites... rien de routinier quoi ! Et pourtant ça passe. Au total Music ne vivra que 3 ou 4 moments difficiles. Alors que le scénario repose assez peu sur cet esprit de routine. mais on nous le dit au début alors ça va.


Pour en revenir aux clips, ce qui est triste, c'est de n'avoir pas engagé une chanteuse plutôt qu'une actrice de 14 ans ou une autiste. Parce que ça aurait renforcé le côté 'dans la tête de Music, elle est carrément géniale, capable de faire des trucs de ouf. Et ça aurait été bien. Mais non, c'est Sia qui chante, sauf une fois, Kate Hudson, qui se débrouille. Mais pourquoi elle chante à ce moment là et pas aux autres... mystère!


La mise en scène est assez proprette. Pas de souci au niveau du découpage ni de la photographie, Sia a su bien s'entourer à ce niveau là. On voit ce qu'il faut quand il faut, les cadrages sont bien équilibrés et variés. Ses clips sont jolis visuellement, avec quelques plans séquences assez chouettes. Bon, on pourra lui reprocher de toujours faire un peu la même chose, si bien que les 2 derniers clips sont vite oubliés. Mais les premiers sont assez forts.


Le montage marche bien aussi, c'est pas trop long, le rythme est adapté au type de scène. Puis Sia propose quelques idées visuelles qui ne sont pas nulles. Mais y a du pathos aussi, la fin est un peu chiante à ce niveau là, alors que jusque là ça passait bien.


On en vient au gros morceau maintenant : les performances. Kate Hudson joue bien les ex junkies au crâne rasé. Le black joue bien le black avec un accent. C'est un peu caricatural mais bon. Les asiat sont un peu caricaturaux aussi, que ce soit le père fâché ou le gamin muet qui fait la moue. La fameuse Maddie ? Ben c'est moyen. Y a des scènes où elle s'en sort, honnêtement. On sent que sa grosse référence, c'est Di Caprio. Mais y a des moments où ça va pas du tout, où elle en fait trop d'un coup. Faut dire que certains plans sont maladroits : Maddie entre dans le champ, fait ses grimaces puis voit un truc. Y a pas de mise en contexte, c'est trop soudain, y a pas vraiment d'interaction. Et j'imagine que commencer ou terminer une journée sur ce genre de plan doit être encore plus difficile... bon, j'ai pas le plan de tournage sous les yeux mais en tous cas la pauvre petite n'a pas toujours été aidée par la manière de filmer. Alors que quand elle peut prendre son temps pour jouer, là elle dilue un peu plus les grimaces.


La musique est correcte. Pas désagréable à suivre. Un peu naïve peut-être. Pas spécialement mémorable, mais sur le moment c'est pop, ça marche bien, et les clips sont chouettes donc ça passe. Le reste de la BO est correct.


Je reviens sur la contention. J'ai été prof dans le spécialisé pendant un an. Dans ma classe avec élèves ayant des troubles sévères, j'avais notamment un autiste qui faisait régulièrement des crises. Seule sa mère parvenait à vraiment l'apaiser. D'ailleurs on le soupçonnait de faire des crises simplement pour pouvoir rentrer chez lui. Mais on ne pouvait pas toujours le faire, il était scolarisé, il devait s'adapter à l'école et puis la mère avait bien le droit de souffler aussi. Il s'est avéré que lors de ses crises, durant lesquelles il pouvait être violent envers les autres mais aussi lui-même, il appréciait qu'on lui fasse un câlin à condition que ce soit une femme avec, de préférence, une forte poitrine. Les mecs ou les femmes plates, pas son truc. Cela ne marchait pas toujours, mais donc on essayait cette forme de contention et si ça marchait on continuait, s'il continuait de criser, on le relâchait, on lui retirait ses lunettes et on lui enfilait un casque de boxe... parce qu'il pouvait se taper très très fort. On le laissait alors se calmer. C'était franchement pas simple. J'ai eu cours avec d'autres autistes, mais aucun ne m'avait jamais fait de crise ; ceci dit il y avait quelques règles faciles à retenir pour les autres (ne pas toucher, ne pas chercher le contact visuel, ne pas parler trop fort), alors que celui-ci était assez imprévisible. Tout ça pour dire, que la contention n'est pas forcément mauvaise, le tout bien sûr est de ne pas insister si l'autiste ne le supporte pas, voire de ne pas le faire du tout si le contact le dérange déjà en temps normal, alors là forcément, ça peut mener à de gros problèmes. Disons que chaque autiste a ses particularités, et c'est bien normal, c'est un individu comme n'importe qui d'autre. Mais donc, fustiger ce film parce qu'on voit le black contenir l'autiste dans la bande annonce, c'est vraiment, vraiment idiot.


Et juste crier que Sia aurait dû engager un autiste, c'est oublier plein de facteurs qui entrent en jeu dans la confection d'un film mais aussi dans la performance d'un acteur.


Bon, c'était long à écrire, y a sûrement des choses maladroites dedans, mais tant pis.
En bref :
- la polémique était stupide ;
- le film n'est pas un navet, mais il est un peu pauvre malgré de bonnes idées.

Fatpooper
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le 21 févr. 2021

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