Mourir à Ibiza est un film singulier non dans le chemin qu'il emprunte mais dans celui qu'il trace. On a, en sortant de la salle, la délicieuse impression d'avoir entamé un chemin fait du Rayon Vert de Rohmer, ou plus récemment de Contes de juillet ou d'A l'abordage de Brac, mais qui s'en éloigne, avec bonheur.

La beauté du geste, tout d'abord, est à prendre dans le système de production dans lequel il s'inscrit : un film fait à 6 mains et 3 cerveaux (pour la partie mise en scène), ce qui me paraît assez rare pour être souligné, car dans pareille entreprise la cohérence aurait pu sans mal se dissoudre. Force est de constater qu'au contraire cette triple association ne se perd jamais en route et permet même au film de se déployer.

Ensuite, toujours pour la production, on comprend aisément que les moyens (en ceci comprenez matériel, personnels sur le tournage etc.) sont restreints, que le film est fait avec bien peu. C'est avec ça qu'un cinéaste fait quand il démarre, certes, mais là où le pari est réussi, c'est que les trois réalisateurs, Anton Balekdjian, Léo Couture et Mattéo Eustachon, ont le bon goût d'être un regard inspiré, dont la distance de prise de vue est toujours bonne.

Que peuvent encore nous dire les images quand le cinéma est pris à tort et à travers dans un mélange de films qui tient plus du spectaculaire que du spectacle, pris au pied de la lettre ?

La simplicité du dispositif ici, déjà vu donc dans de nombreux films, à savoir des histoires de vacances chez de jeunes adultes en été, se départ du spectaculaire, et privilégie la complexité à la complication, souvent illusoire et inutile. Un regard. L'objectif de leur caméra devient un regard juste, calme, posé sur 4-5 comédiens et comédiennes dont on ne connaissait pas les visages, ni le talent. Leur vérité tient dans les hésitations de leurs amitiés et amours, dans le temps pris par les cinéastes pour ne pas faire de leurs personnages des marionnettes qui répondraient à la gouverne d'une ambition et d'un tempo; non, les personnages vivent, ils changent, s'aiment, se quittent, devant l'objectif qui épouse leurs trajets.

Là où le film quitte un territoire, c'est par une certaine poésie, amorcée par l'introduction du film (fondus enchaînés, ou surimpressions dans la durée), continuée par l'humour de certaines situations ou d'Ali, par des mots lancés en chanson, par un mutisme, parfois, qui, à nouveau, ne trahit pas les personnages, mais leur laisse l'ambiguité, ambiguité qui participe à les rendre vivants. Par là, ils s'élancent. Et dans cet ensemble, on découvre une esthétique qui traduit, à mon sens, une hésitation qui m'est proche, une incertitude peut être commune à une génération. Mourir à Ibiza pour vivre ailleurs. Premier long-métrage réussi.

Haroma
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le 10 déc. 2022

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