Moonage Daydream
7.2
Moonage Daydream

Documentaire de Brett Morgen (2022)

Critique publié sur Cinémaniak : http://www.cinemaniak.net/moonage-daydream-bowie-reviens-parmis-les-tiens/


À l’instar de son générique faisant lentement apparaître les lettres de son nom, David n’existe plus, seul reste Bowie, la figure ésotérique du rock. En vouant son film au montage, le geste cinématographique fondamental qu’articule Moonage Daydream de Brett Morgen est celui de la réorganisation du réel. Reprenant des fragments de la vie de David Bowie, d’images d’archives, de live, de clips, il crée une autre figure. La citation de Nietzsche en introduction laisse peu de suspicion quant à la nature de cette dernière, celle du dieu.


Moonage Daydream se présente comme une utopie effectivement réalisée dans laquelle Bowie est devenu, dépassant sa condition humaine de superstar, une entité transcendantale. Bowie est omniscient, il traverse le temps et les époques, se parlant, grâce au montage, à lui-même à dix ou vingt ans d’écart. De la même manière, ses chansons s’entrecroisent, se chevauchent et fusionnent pour ne devenir, par moment, qu’une seule masse musicale : du Bowie. Les cris de jouissance ou de désespoir que ses adorateur·ice·s poussent ne font que renforcer sa figure mystique. Ses fan(atique)s n’ont pas de barrière, ni de la langue ni de l’espace ; on l’adule partout à la fois, à la même intensité. Moonage Daydream, dans son ascension perpétuelle, par l’enchaînement des images, des époques, des lieux, des couleurs, des sons, crée Bowie. Il devient matière écranique, un être cinématographique uniquement fait de lumière. Mais, dans tout ce procédé, un grain de sable s’immisce, l’humain résiste, David résiste.


Les coupes trop rapides créent entre les images des espaces trop étroits pour permettre aux spectateur·ice·s d’y faire vivre Bowie. De la même façon, le montage inspiré du collage n’arrive jamais à créer sa propre matérialité. Les images se lient uniquement entre elles à l’horizontale, n’arrivant jamais à créer un nouveau sens vertical. La faute, encore une fois, à un impératif de vitesse qui semble un peu hors sujet. La première heure se termine ainsi par une surcharge cognitive et interprétative où tout à trop de sens. On se sent comme Malcolm MacDowell dans A Clockwork Orange face à l’artificialité de la mise en scène.


Ainsi Brett (Morgen) aussi résiste. Penser dieu à partir de l’être c’est déjà nier sa transcendance, Dieu est mort et en créer un à partir de bouts d’humain ne comblera pas le vide. Malgré tous ses efforts pour mélanger les époques, il n’arrive jamais à s’extirper de son squelette chronologique. Avant tout concentré sur les années 70 et 80, il éclipse totalement les années 2000 et 2010 et n’arrive que trop rarement à rencontrer le chaos du montage qu’il tente de créer. Un sentiment à la fois de trop et de pas assez nous submerge. Des thématiques surgissent de façon trop claire et nous dessinent un propos sur David l’artiste et non plus Bowie la figure. Ce qui n’est en soit pas dommageable, mais contraste avec d’autres passages du film lors desquels tout n’est laissé qu’à l’interprétation des la spectateur·ice·s. Un double discours s’immisce, celui de l’hésitation, dieu ou artiste. Surnagent cependant quelques scènes vraiment émouvantes comme cette interprétation de Heroes laissée dans sa totalité. Parfois faire simple fonctionne mieux pour rencontrer son public.


Car lui aussi résiste. Tout comme Brett, il nous est impossible de passer outre l’effet Koulechov. Le flux d’images nous pousse sans cesse à chercher du sens à ce que nous voyons et nous nous fracassons contre un fait tout simple, Bowie est fait de matière et renvoie à la matière. Étrangement c’est dans la deuxième partie du film, lorsque le montage ralentit enfin, que Bowie gagne en fascination. Ce dieu trop humain se transforme en humain trop mystique. Plus on s’intéresse à lui, sa personnalité, plus on rentre dans sa chair et son intellect, moins on arrive à le saisir. La Transcendance fait place à l’immanence.


Moonage Daydream est un film polarisant, fait pour être habité par ses spectateur·ice·s. Les coupes sont des espaces à remplir et chacune le fera avec sa propre subjectivité. On ne peut que saluer la démarche et l’audace d’une telle proposition. Même si le film n’a pas complètement fonctionné sur moi, je ne peux que vous encourager à rencontrer Bowie en salle.

Justunimage
7
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le 1 nov. 2022

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