Monsterz
5.2
Monsterz

Film de Hideo Nakata (2014)

On connaît la propension extraordinaire d'Hollywood à s'approprier tout ce que produit le cinéma asiatique depuis des décennies, particulièrement en ce qui concerne le cinéma coréen des dernières années. Il est à noter que le genre du polar coréen s'inspire lui-même grandement du cinéma de genre américain des années 70 et 80, l'inspiration et l'appropriation ne fonctionne donc pas dans un sens unique, mais voyage, se déforme et change au gré des époques.


Le cas du film dont nous allons parler, Monsterz est pour le moins intéressant, car il s'agit du remake japonais d'un film coréen de 2010, Haunters, qui lui-même s'inspire fortement des films de super-héros américains. Haunters était un film qui comptait quelques moments agréables, mais laissait une impression tiède en raison d'une trop grande volonté à vouloir respecter son matériau de base, avec un équilibre inégal entre comédie slapstick et drame, comme n'importe quel film de super-héros lambda en somme. Dans les mains de Nakata cependant, l'histoire de ces deux jeunes dont les dons surnaturels s'opposent moralement et psychologiquement, renonce complètement aux aspects comiques habituels et opte pour un ton plus sérieux, lorgnant vers le film à suspense, avec un résultat plutôt solide au final! On tient là une œuvre qui parle d'existentialisme, de traumatismes de la petite enfance, de destin et du hasard de la condition humaine, une ambition bien supérieure à la plupart des œuvres auxquelles ce film fait référence, il souffre cependant d'une écriture quelque peu anémique que ne parvient pas totalement à rattraper la réalisation de Nakata.


Explications:


Ce film est clairement bâti sur deux axes bien distincts, une première partie se concentrant sur la caractérisation des personnages, montée de façon méthodique, permettant de mettre en place les enjeux de façon subtile, l'intro du film nous présente le personnage de Tatsuya Fujiwara, son background, sa jeunesse dans le contexte difficile de la crise économique des années 90 en Asie, le tout enrobé dans une imagerie sombre, et dans un sous-texte parlant d'aliénation et de malédiction.


Cette entrée en matière est pour le moins saisissante: Une mère (Tae Kimura) et son fils marchent sous une pluie battante, le garçon boite et porte un bandeau sur les yeux. On enchaîne sur une scène de violence conjugale entre sa mère et son père, conduisant à un événement dramatique impliquant le jeune garçon... La force du cinéma de Nakata réside principalement dans le traitement mélodramatique des figures matérielles sous le signe de l'horreur et du fantastique, l'affiliation est évidente ici, comme elle l'était dans Ring ou Dark Water, en fait, toute la première partie du film est plutôt réussie, plaçant intelligemment ses enjeux et développant un pathos crédible entre les différents personnages présentés.


Un cut replace l'intrigue du film vingt ans plus tard, en 2013. Le jeune garçon sans nom que l'on nous a présenté dans la première partie du film est aujourd'hui un homme, qui mène une existence de solitaire, profitant de ses dons pour figer les gens et contrôler leur esprit, dans le but de voler leur argent, il mène une vie amorale dont il se satisfait amplement. Un jour, alors qu'il exerce son pouvoir sur les passants d'un marché de rue, il tombe nez à nez avec un homme qui ne semble pas subir son contrôle. Shuichi (Yamada Takayuki) un jeune homme travaillant pour une boîte de livreurs. On repère immédiatement un contraste prononcé entre la présentation des deux personnages, la première apparition de Shuichi dans le film est placée dans une scène lumineuse, présentant une imagerie emplie de légèreté et d'empathie.


On pourrait penser à un manichéisme évident avec une présentation pareille des deux personnages principaux du film, cependant, Nakata n'est pas le premier venu, et le développement des caractères de ses personnages se poursuit tout au long du récit, par l'utilisation de différentes techniques cinématographiques, ne se limitant pas à une simple composition visuelle, et plaçant une ambiguïté bienvenue. Car nos deux héros sont en effet des survivants, la mort fait partie de leur vie, la différence entre leurs deux caractères tient aux relations qu'ils ont pu avoir dans leur jeunesse, Shuichi a en effet subi la mort de ses parents dans un accident de voiture, mais a eu la chance de rencontrer Shibamoto (Matsushige Yutaka), un policier qui l'a pris sous son aile, et est resté son ami et son protecteur toute sa vie.


Avec cette opposition de personnages extraordinaires présentant une nature contraire, Monsterz puise clairement son inspiration dans des films comme X-Men ou Incassable, un film de super-héros qui parle avant tout de psychologie et de relations sociales, ça ne se voit pas tous les jours!


Il manque cependant certains éléments qui donneraient à ce film une vraie grandeur, on ne retrouve pas l'imagination et la richesse émotionnelle d'Unbreakable. Le développement des caractères et des qualités individuelles des personnages sont largement plus intéressants que le jeu du chat et de la souris qui s'ensuit dans toute la seconde moitié du film. Les situations qu'on nous présente deviennent de plus en plus fastidieuses avec le temps. En outre, une certaine faiblesse scénaristique se fait ressentir, et on finit par deviner toutes les ficelles, qui se révèlent grossières sur la fin.


Cependant, bien qu'étant un travail imparfait, il s'agit d'un effort décent de Nakata, qui livre un film donnant envie au spectateur de s'y investir. Car cette histoire de rivalité, de face-à-face (ou plutôt de puissance-contre-puissance), n'est pas un territoire entièrement inconnu pour Nakata. Souvenez-vous de son film de 2008: "L no Honto no Himitsu" (L: Change the World), 3ème film inspiré de l'univers de Death Note, qui nous présentait l'affrontement entre un détective génial, réclusif et obsédé par les bonbons, et un brillant scientifique bioterroriste, des enjeux qui rappellent fortement ceux de Monsterz. Mais encore une fois, la différence tient dans l'influence, là où le Death Note était une œuvre purement japonaise, autant dans la forme que dans le fond, Monsterz est clairement un film inspiré des canons du cinéma hollywoodien.


L'aspect le plus impressionnant du film tient dans son ambiance mélancolique. Le thème principal du récit semble être la culpabilité. Ses personnages principaux souffrent de la culpabilité qu'ils ressentent par rapport aux traumatismes de leur enfance, ce qui leur donne une certaine profondeur tout à fait convaincante, un autre point intéressant à signaler est que le cinéaste a osé le parti-pris d'intégrer une sous-intrigue romantique, et en y allant franchement, il ne s'agit pas d'une petite amourette à l'eau de rose comme nous y ont habitué les films de super-héros américains, mais bien d'une véritable interaction sociale qui a son importance dans le développement des personnages, alors que le film aurait pu subir un traitement beaucoup plus classique à ce sujet, ce qui nuance quelque peu le propos généralement pessimiste de l'ensemble.


L'une des séquences les plus impressionnantes du film, qui prend place dans une salle d'opéra, permet par ailleurs de rappeler que Nakata est un réalisateur qui vient du cinéma d'horreur, et ce n'est pas anodin car il s'agit clairement du point culminant du film. Au premier abord, on pourrait placer Monsterz dans plusieurs cases différentes: Thriller, film fantastique, drame, mais le concept général fait également penser au film d'horreur japonais dans sa lecture la plus simple, avec son jeu d'esprits et de faux-semblants, et tout est parfaitement résumé et démontré dans cette seule scène, sans parler du fait qu'il s'agit d'une séquence qui met réellement en valeur l'utilisation du son et de la musique du film, composée par le vénérable Kenji Kawai.


Pour résumer, Monsterz est un film ambitieux, bien plus ambitieux que les films de super-héros dont il s'inspire, mais qui ne peut malheureusement que décevoir tant son introduction crée de hautes attentes en étant parfaitement réussie, attentes qui se révèlent douchées par une deuxième partie quelque peu ratée. Son propos est peut-être un peu trop simple et mélodramatique pour satisfaire pleinement un public averti. Mais il s'agit d'un effort honnête, largement supérieur à la production habituelle de blockbusters signée Marvel ou DC. La patte d'Hideo Nakata se fait clairement ressentir et apporte une touche et une approche plutôt inhabituelles dans un genre d'habitude totalement formaté, en somme, un film imparfait, mais tout de même agréable à regarder.

Schwitz
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le 5 nov. 2016

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