Paris, janvier 1942, un homme, Robert Klein, marchand d'art, insouciant et cynique, vit richement et s'amuse bien entre sa copine, une jeunette et sa maîtresse, une femme du monde, épouse d'un avocat, son ami. Il s'amuse même à faire de bonnes affaires sur le dos de juifs en détresse, cherchant par tous les moyens à fuir.

Mais voilà qu'un grain de sable grippe soudain cette belle mécanique. Une simple homonymie entre Robert Klein et un autre Robert Klein, juif, lui, semble-t-il. C'est que Klein, c'est un nom courant outre Rhin (ou même en Alsace) autant que Petit en France. Klein résonne comme un nom de personne immigrée ou étrangère. En ces temps d'antisémitisme organisé et de chasse de tout ce qui est étranger, il n'en faut pas plus pour déclencher la suspicion des autorités françaises suivant le bon vieux principe : il n'y a pas de fumée sans feu.

Le film change progressivement de tonalité pour se ramener à un questionnement sur l'identité. En cela, le film rejoint le thème de la scène (humiliante) post-générique où une femme est auscultée, mesurée, palpée, tâtée par une sorte de scientifique ou médecin afin de s'affranchir d'une possible origine sémite. Robert Klein préférera mener l'enquête lui-même et chercher les certificats de catholicité des quatre grands-parents. Puisque le père de Robert lui certifie "qu'ils sont français et catholiques depuis Louis XIV".

Mais en menant l'enquête, il attire l'attention ; les soupçons des autorités se transforment peu à peu en certitudes.

Une autre façon de le dire c'est que l'insouciant Robert Klein du début s'enferme peu à peu dans un piège qui l'assimilera à cet homonyme auquel personne d'autre que lui ne croit.

La mise en scène de Joseph Losey est fascinante. Chaque plan a une signification. Comme par exemple ce tableau de Chagall "le violoniste vert" trônant au mur de l'appartement de Robert Klein. Ce violoniste est une personne importante dans les communautés juives de l'Europe de l'Est car il accompagne les différentes étapes de la vie d'un juif. En quelque sorte, il est une représentation symbolique du Destin. Pour rester dans le domaine de la peinture, le tableau acheté à moitié prix au début du film représente un "portrait d'un gentilhomme" par un peintre néerlandais. Robert Klein va s'attacher à ce portrait qui devient presqu'un fil rouge d'autant plus qu'il apprend de son père l'existence d'une branche hollandaise de sa famille dont Robert Klein est issu dont on ne sait rien de sa catholicité …

L'étrange scène de mystification dans le château où se rend Robert Klein dont on comprendra la signification ultérieurement ou dont on peut deviner certains sens cachés.

La vision monstrueusement banale des antres de la préfecture avec les petites mains qui fichent, trient, recherchent, classent pendant que Robert Klein se démène, fait irrésistiblement penser à l'univers de Kafka …

L'extrait du vertigineux spectacle inspiré de l'histoire antisémite du Juif Süss en train de voler la mezzo qui chante, hiératiquement, un lied de Mahler extrait des Kindertotenlieder …

Du simple point de vue de la mise en scène, c'est un film très riche qu'on peut voir et revoir car à chaque visionnage, on découvre une nouvelle piste, de nouveaux symboles, un nouvel axe de réflexion. Comme cette volonté manifeste et évidente de se mettre en écart par rapport aux dates réelles de la rafle du Vel d'hiv ici en se plaçant en hiver. Une volonté d'accentuer le symbole ?

Et je n'ai pas encore parlé du casting.

C'est Alain Delon qui joue le rôle de Robert Klein. Un de ses plus grands rôles où il fait preuve d'une relative sobriété. Il compose un personnage constamment en évolution. Au début, monstre cynique plein de morgue lorsqu'il traite l'achat du tableau avec un Jean Bouise digne et plein de mépris. Puis on le voit franchir peu à peu toutes les étapes de l'incrédulité à l'inquiétude jusqu'à l'effroi quand il sent le piège se refermer inexorablement. C'est un trop rare exemple d'un jeu de Delon capable de nuance … À moins que ce soit Losey qui l'ait particulièrement bien mené …

Les seconds rôles sont de grand niveau entre une Suzanne Flon inhabituellement hargneuse, une Jeanne Moreau subtile et sur ses gardes, un Michael Lonsdale plus que jamais onctueux cachant une belle âme noire et un Jean Bouise qui finira par devenir la conscience de Delon…

Je regrette juste un tout petit peu qu'il n'y ait pas eu plus d'espace pour les seconds rôles … mais c'est chez moi un éternel débat.

Chef d'œuvre de Joseph Losey, glaçant et bouleversant.


JeanG55
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le 17 juil. 2023

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