Moi capitaine
7.1
Moi capitaine

Film de Matteo Garrone (2023)

Le voyage d'un enfant devenu capitaine

Un beau film du réalisateur Matteo Garrone, mettant en scène deux adolescents, Seydou ( Seydou Sarr ), et son cousin Moussa ( Moustapha Fall ), qui rêvent d'Europe, une terre qu'ils idéalisent, devenue cet horizon lointain où brille déjà leur futur destin. Celui d'une passion pour la musique, qui leur offrira gloire et argent, loin du soleil de Sénégal, qui pourtant ne les faisait souffrir ni de faim, ni de soif, aucune guerre, ni catastrophe climatique. Malgré tout, ils partent suivre ce long cortège de migrants économiques, croyant encore et toujours que leurs avenirs s'écrira bien mieux ailleurs.

Brisant les attaches du sol aimé, Seydou ment à sa mère quand l'appel de ce nouveau continent chante toutes ces promesses. Ils décident de fuir sans savoir où cette traversée les mènera, à l'écart de toutes ces histoires qu'ils n'ont pas voulu entendre, sûrement le fruit d'une exagération sauvage.

C'est alors un périple qui débute, avec cet optimisme un peu naïf, deux jeunes plutôt craintifs sur ces routes désespérées, dont le réalisateur tire un suspense palpitant. Très vite, les enjeux de cette fuite les dépassent, escroquerie, racket, quelque chose qu'ils n'avaient pas planifié, tel un conte pour enfant, éblouis par le ciel bleu qui les accompagnent, et qu'ils voient s'assombrir lentement à chaque étape du voyage.

Le désert qu'ils découvrent, magnifiquement photographié par Paolo Carnera. Des paysages infinis rempli de sable d'or, ponctués d'une traînée de cadavres. La caméra de Matteo Garrone décrit le Sahara comme une bête redoutable qui vous emprisonne, pour ne plus en sortir.

Et puis les choses sérieuses commencent, la mafia libyenne, la pire, où règnent trafic en tous genres, torture, travail forcé, argent, argent, ou bien c'est la mort, pas de pitié.

Plongés dans les profondeurs de l'expérience du migrant en mouvement, ils n'y croient plus. Seydou perd du regard Moussa, face à ces murs hurlants, peuplés de barbelés, des cris aux yeux pleins de douleur, un défi bien trop grand pour ces deux jeunes proies faciles.

Devant tant d'horreur et de barbarie, il fallait donc bien espérer rêver, imaginer s'envoler quelque part ailleurs, tout près de ces ancêtres, sa famille, pour un dernier au revoir.

Mais il y a la vie, le miracle des rencontres, où surgissent des liens qui éclairent le chemin, une fontaine de liberté, après tant de souffrance que Moi Capitaine devra traverser. Un voyage épique qui tente de garder un peu d'humanité entre terre et mer.

C'est dans ce bateau parmi toutes ces âmes en détresse que Seydou donne vie à chaque rythme émotionnel, chaque hésitation, acceptant ce défi comme un rite de maturité douloureux et impitoyable.

Devant tant d'ambiguïté et d'impuissance affligeante, c'est le choix d'une humanité forcée, ou bien d'une impossibilité à tous ces défis sans fin que l'on peut aussi lire dans ce film. Lorsque nos frontières chavirent à l'arrivée de tous ces radeaux en détresse, c'est l'impression d'un retour au début, où résonnent encore ces épreuves du passé, plus pauvres et plus traumatisés, avec des rêves si brisés qu'aucune magie ne pourra les reconstituer.

Candy-Alice
8
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le 5 janv. 2024

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