Une belle surprise que ce Mo' Better Blues !


En attendant de découvrir son petit dernier Da 5 Bloods, je m’attelle sagement à combler mes lacunes dans la filmo de Spike Lee. Je n’avais, en le lançant, aucune idée de ce dont pouvait bien parler ce Mo' Better Blues – si ce n’est de blues, évidemment (perdu : c’est du jazz). J’en sors en tout cas tout à fait convaincu.


Sorti en 1990, ce cinquième film (et quatrième long-métrage) de Spike Lee suit le personnage de Bleek Gilliam, trompettiste (de jazz donc) de talent, tiraillé entre sa passion et gagne-pain (la musique), son groupe de musiciens et amis (au sein duquel quelques tensions), son imprésario incompétent (mais aussi et hélas ami d’enfance), ses employeurs juifs (lui refusant une renégociation de son contrat), son paternel (vieillissant) et ses amours (deux amantes pas complètement dupes). Bref, le type a une vie riche et bien remplie (comme moi), qu’il s’échine à structurer un maximum pour ne pas en perdre le contrôle. Mais son équilibre est fragile et va évidemment finir par se péter la gueule…


Et Spike Lee nous orchestre ça d’une main de maître (comme d’habitude chez lui : la mise en scène est assez folle), alternant avec fluidité ces différentes sous-intrigues et les nombreux personnages en jeu, dans un récit par ailleurs ponctué de quelques scènes musicales (il eut été dommage de se priver), intéressantes à double titre : d’abord, elles sont évidemment toutes très plaisantes à regarder et à écouter (ma préférence allant à celle du fameux Mo' Better Blues – pas sûr d’être très original sur ce coup-là) et variées ; mais surtout elles présentent toutes un intérêt narratif. Je m’explique : aucune de ces scènes n’est purement « gratuites » (ce qui n’aurait en aucun cas été un mal – le seul plaisir de la performance musicale justifiant parfaitement l’existence d’une scène) et toutes présentent au contraire l’intérêt de faire progresser le récit. Ce que je trouve assez malin.


La dernière de ces scènes musicales, douloureuse et émouvante, sonnant la fin d’une époque pour le personnage (je reste volontairement vague), est particulièrement belle et terrible. Elle amorce le dernier acte du film, très touchant, à la fois triste et heureux. Puis cette fin douce-amère, qui te fait déprimer juste ce qu’il faut… C’est un film qui brasse finalement pas mal de thèmes et de sentiments : la passion artistique, l’amitié et l’amour évidemment, les conflits, les mensonges et la souffrance qu’ils peuvent susciter, les collisions vies amicale/sentimentale et professionnelle, mais aussi la rivalité, la chute, la honte, l’abandon de ses rêves, la résilience, la paternité… Le film est assez riche et émouvant, je ne l’avais pas du tout vu venir. Il y a notamment une réplique vers la fin, lorsque Denzel retrouve l’une de ses amantes, que j’ai trouvée très belle. Bref, c’est un film qui m’a touché à plus d’un titre.


Un film qui plus est porté par une très belle brochette d’acteurs : Denzel Washington, étincelant de charisme, Wesley Snipes et Giancarlo Esposito en compagnons musiciens (tous les trois finiront des habitués devant la caméra de Spike Lee) et Spike Lee lui-même, qui a eu la bonne idée de se réserver le rôle ingrat du petit trou du cul, et illustration parfaite du dicton avec des amis pareils, pas besoin d’ennemis, qui va très bien avec sa tête à claques (il a depuis arrêté de jouer dans ses films et franchement, tant mieux). On a même le droit aux frères Turturro dans les rôles des deux gérants du club et à Samuel L. Jackson, alors inconnu, dans un petit rôle d’homme de main. Joli.


Bref, c’est très bien !

ServalReturns
7
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le 19 sept. 2020

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ServalReturns

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