I'm sure in your mind, that's true

Avant de parler du contenu du film, il faut parler du film en lui-même, né dans l'esprit de Tom Fontana après les événements du 9/11 et de la promulgation du Patriot Act aux US. Tom Fontana, plus que n'importe quel américain, fut particulièrement choqué par l'événement. Il connaissait une dizaine de personnes qui sont mortes dans le drame, et a vu la seconde tour tomber depuis un immeuble proche de l'attentat. Après la publication du Patriot Act, il lut le texte de loi dans son intégralité et, malgré la peine que lui avait créé le 11 septembre, fut révolté par ce qu'il sous-entendait, c'est à dire troquer de la liberté contre de la sécurité, et bien souvent la liberté des étrangers. Il entreprit alors la création d'un film sur ce sujet, et proposa la réalisation à Sydney Lumet, tandis qu'il en serait le scénariste. Ainsi était né Strip Search.

L'idée de base était la suivante : juxtaposition de deux entretiens parallèles, avec les mêmes dialogues, l'un montrant un officier chinois interrogeant une ressortissante occidentale (sa nationalité n'est pas mentionnée, mais on devine américaine), le second une membre du FBI interrogeant ce qui parait être un ressortissant des pays arabes, suggéré par son teint de peau et son accent. Tout deux sont détenus sans réelle preuve et sans la possibilité de consulter un avocat ou de s'en aller. Tout deux seront également confrontés à une "cavity search" une fouille des cavités. Le but ici est de faire une analogie entre ce que permet le Patriot Act et les exactions du régime communiste chinois, l'exemple chinois étant volontairement caricatural (quoique vraisemblable) afin de faire prendre conscience au spectateur américain la voie sur laquelle s'engage son pays, et de critiquer, en creux et seulement deux ans après le 9/11, la politique sécuritaire abusive adoptée par le gouvernement.

A partir de la fin du tournage de Strip Search, son parcours relève de la douce ironie. Les plus hautes instances d'HBO, productrice du long-métrage, sont très peu enclines à diffuser le film, sans doute des craintes d'un retour de flammes. Par respect pour Tom Fontana et le travail qu'il a abattu pour la chaine, il sera diffusé une seule et unique fois dans une version re-cut qui supprime 60 minutes de la version originale. Une semaine après cela, le scandale de la prison d'Abou Grahib éclate tandis que des photos de militaires américains humiliant les prisonniers sont dévoilées. HBO ne veut toujours pas diffuser le film dans sa totalité, introuvable sur le net ou en DVD. On se résout alors à regarder la seule version disponible, celle d'une heure.

Sans approuver la décision d'HBO, on comprend la censure. Tout d'abord, le mécanisme de juxtaposition des interrogatoires marche à merveille. La critique est violente, directe, et exacerbée par l'analogie. Bien que les dialogues sur la liberté entre l'interrogateur et l'interrogé sonnent un peu faux, le jeu est juste, la photographie crue (les questionnés sont nus pendant la moitié du film), et on sent bien que certains passages encore plus inconfortables font partie des scènes manquantes. Humiliation, immixtion dans la vie privée et attouchements physiques sont au programme. Au final, la thématique est basique, mais cruciale, aussi vieille que Benjamin Franklin et sa désormais célèbre citation : "Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l'une ni l'autre, et finit par perdre les deux. L’œuvre s'ouvre d'ailleurs sur la question qu'un professeur pose à ses élèves : "Si l'Amérique pouvait se débarrasser complètement du terrorisme, seriez-vous prêt à abandonner vos droits en tant que citoyen des Etats-Unis, juste pour un jour ? Puis de continuer : une semaine ? Allez une semaine, ce n'est rien ! Un mois ? Un an ?". C'est vrai, jusqu'où somme nous prêt à aller dans le travestissement de notre contrat social ?

En somme, Strip Search est un film ultra pédagogique et constitue une voie de réponse extrêmement claire et humaniste au discours sécuritaire américain. Et à l'ère des révélations Snowden sur la surveillance généralisée des étrangers et du pillage de câble de communication sous-marin, ce film et l'histoire de sa création devraient être diffusés dans tous les collèges et lycées en cours d'Education Civique, Histoire ou Philosophie. Fontana, décidément un grand monsieur.