J'avais lu un court poème d'un aristocrate qui faisait partie du
gouvernement de Florence et qui était un ami de Michel-Ange. Alors
qu'il visitait le tombeau des Médicis avec ses sculptures, il dit :
"Ce marbre est tellement vivant qu'on attend qu'il se réveille."
Michel-Ange a répondu par un autre poème : "C'est mieux de dormir dans
une pierre que de vivre dans une époque de honte et de trahison ;
alors mon ami, ne me réveille pas." Cet échange m'a sans doute décidé
à travailler sur Michel-Ange.



Voilà une des explications d'Andreï Konchalovsky, co-auteur du superbe scénario d'Andreï Roublev de Tarkovski, à propos de son intérêt pour le Maître. Aidé par un talentueux interprète, le cinéaste s'attache donc à nous faire ressentir son grand intérêt pour ce génie artistique, et cela sans tomber ni dans le portrait hagiographique, ni dans le cochage de cases digne des plus ennuyeuses fiches Wikipédia. Pour nous faire comprendre Michel-Ange, ou du moins essayer de nous faire ressentir la particularité du caractère de ce dernier, Konchalovsky a manifestement décidé de porter une attention toute particulière à l'époque historique qui entourait cet artiste. Ainsi, la focale est souvent courte et les plans larges afin d'immerger Michelangelo dans une foule, dans un décor. Il n'est pas rare que quelques figurants se castagnent au second plan tandis qu'une conversation se tient au premier. Et lorsqu'enfin le génie (que tout le monde reconnaît volontiers sans pour autant qu'il s'élève socialement plus haut que n'importe quel clochard) se retrouve seul, il erre dans les rues vides, trottinant de la manière la plus étrange qui soit.


Le cinéaste a d'ailleurs pu expliquer la chose suivante :



Je ne veux pas de jolis portraits, je veux des gens avec des vêtements
sales, couverts de sueur, de vomi et de salive. L'odeur doit traverser
l'écran et atteindre les spectateurs.



Je ne sais pas s'il y parvient entièrement, mais il est certain que l'esthétique du film est remarquable. Je ne saurais dire si elle paraît totalement réaliste ou totalement factice, mais dans tous les cas, le travail sur la reconstitution historique est remarquable, c'est tout simplement beau malgré le vomi qui gicle et les vêtements en lambeaux.


Le film est traversé par le grotesque proprement italien, les personnages sont loquaces, presque hystériques, et Michel-Ange semble pousser ces caractéristiques tellement loin qu'il semble tout simplement constamment frôler la folie. Légèrement paranoïaque, celui-ci semble d'ailleurs croire que Satan et ses démons le chassent depuis des années.


Ce qu'il y a d'également marquant dans ce film, c'est sa représentation du travail manuel, tandis qu'on ne verra jamais vraiment l'artiste en train de sculpter, par exemple (comme dans Andreï Roublev, par ailleurs). En cela, on peut largement penser au Fitzcarraldo de Werner Herzog et son effort collectif et humain colossal afin d'accomplir l'impossible : faire se mouvoir un objet gigantesque. On peut également penser à la cloche d'Andreï Roublev, les parallèles à faire sont nombreux. Ici, c'est un bloc de marbre comme aucun Italien n'en a jamais taillé. Il est instantanément personnifié (voir la citation du début de cet avis) et baptisé "le Monstre". On voit donc Michel-Ange s'attaquer à la direction d'une entreprise presque mégalomaniaque, mais pas dans ses œuvres. C'est un choix absolument crucial pour le film. Pour continuer la comparaison, l'acteur principal a une gueule, tout comme Klaus Klinski en avait une. Il a une gueule et un tempérament. Point de cabotinage malgré l'hystérie, l'incarnation du personnage se fait jusqu'au bout des ongles, et on y croit.
Enfin, je parlais du refus du cinéaste de le filmer en train de travailler sur ses œuvres, mais il faut aussi noter que la dépendance de l'artiste à ses commanditaires est particulièrement mise en avant (mais aussi tout simplement à l'argent). Michelangelo était au service de puissants, et surtout au cœur de conflits de pouvoir. Il était à la fois reconnu pour son génie et exploité pour la même raison.
Et c'est là tout l'intérêt du film qui ramène ce génie aux choses les plus triviales et terrestres. D'ailleurs, l'importance de l'immense respect que semble attribuer Michel-Ange à Dante qui est montré dans le film en est une autre preuve.


Mais aussi lorsque Michel-Ange reconnaît vers la fin que Raphaël est également un grand artiste alors qu'il le méprisait tout le long du film.

Seingalt
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le 19 oct. 2020

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