Quelle preuve plus flagrante de la mauvaise santé de notre rapport à l'image et la vérité que le bordel provoqué par la sortie de Leaving Neverland (2019) ? Indignation générale, dégoût des spectateurs, la mythologie jacksonienne est encore une fois entachée. Les radios retirent les chansons du "roi de la pop" de leur programmation, les producteurs des Simpson suppriment un épisode où la star américaine prêtait sa voix, Drake décide de ne plus interpréter "Dont Matter to Me". Dans ce sens, le documentaire de Dan Reed est une réussite. Le réalisateur construit un dispositif rhétorique d'une efficacité implacable qui, dans un contexte de paranoïa générale, ne laisse pas d'autre choix au spectateur que de croire sur parole les victimes présumées. Pourtant, c'est moins l'immondice des accusations qui donne la nausée que l'allégresse avec laquelle Leaving Neverland se torche avec le principe de présomption d'innocence et, plus généralement, la méthode juridique et scientifique.


Je ne sais pas si Michael Jackson était pédophile ou non et, à dire vrai, cela m'importe peu. C'est à la justice de mettre en branle sa complexe machinerie pour le vérifier. En attendant, ce témoignage de quatre heures reste insuffisant. Parce qu'un témoignage, aussi long soit-il, ne constitue pas, et ne saurait constituer, une preuve. Le documentaire n'a pas pour but d'informer le spectateur, mais d'orienter son opinion par des moyens plus que contestables. Ne comptez pas sur d'autres témoignages que ceux des victimes présumées, sur la parole des avocats, des inspecteurs, des juges d'instruction, par exemple. Leaving Neverland est un documentaire à charge. Pas de place pour la défense, pas de place pour la nuance, pas de place pour la critique. Il faut compter uniquement sur la bonne foi de Wade Robson et James Safechuck. N'oublions pas que les victimes présumées ont changé de version en cours de route et qu'ils ont commencé par défendre la star américaine (se référer aux actes des procès de 1993 et 2003). Cela ne signifie pas que leur témoignage est faux, mais que nous devons redoubler de méfiance à l'égard de ce documentaire qui cherche à nous persuader du bien-fondé d'accusations que rien, pour le moment, ne permet de vérifier.


Le matériau du du documentaire est, somme toute, assez pauvre. Quelques témoignages unilatéraux, des images aériennes qui rappellent les grosses productions hollywoodiennes et, surtout, des images d'archives dont l'instrumentalisation doit susciter notre vigilance. L'ombre du soupçon s'étend sur toutes les images, le ranch de Neverland, les concerts et les tournées, le visage de Michael Jackson. Le moindre geste, le moindre mouvement, le moindre sourire nous apparaît comme l'indice sordide de la pédophilie de la star américaine. Cependant, ces images d'archives ne constituent pas une preuve en soi. Le commentaire et le montage font dire à l'image ce qu'elle ne dit pas d'elle-même. Le documentaire fabrique des preuves de toute pièce qui n'ont, en fait, aucune valeur de vérité. Il n'y a pas de preuve par l'image (François Niney) et Leaving Neverland ne fait pas exception à la règle. La valeur indicielle de l'image doit nécessairement être corroborée par d'autres éléments de preuve, ce qui n'est pas le cas ici. Finalement, Leaving Neverland nous documente moins sur la pédophilie supposée de la star américaine que sur les pouvoirs du discours et de l'image, et les manipulations que peuvent subir les faits à l'ère de post-vérité et des faits alternatifs. Ce documentaire ne prouve rien et nous devons, jusqu'à preuve du contraire, tenir Michael Jackson pour innocent.

stgsole
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le 3 avr. 2019

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Samuel

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