Dans l'Angleterre de la fin du 17ème siècle, Mrs Herbert commande douze dessins de la propriété de son mari pendant que celui-ci est à Southampton. Un accord contractuel dont les termes sexuels sont à peine cachés, avec une finalité autant sulfureuse que douteuse.


Peter Greenaway, à l'image de Mr Neville, dessine peu à peu les traits d'une comédie tragique qui tient à la fois de la satire sociale que de l'enquête policière, sur toile de fond historique loufoque. Un mélange des genres qui commence avec une ouverture théâtrale, une adresse aux spectateurs décalée préparant aux jeux de rôle et de mise en abyme, autant de mécanismes de cette fresque sociale vivante. Bien qu'on risque de s'égarer dans l'éther insaisissable de son scénario, la force symbolique du film ne trompe pas.


Il y a d'abord le contrat, au coeur de l'intrigue. Il est un pacte passé entre Mrs Herbert et Mr Neville, entre deux bourgeois du 17ème siècle, entre un homme et une femme profondément ancrés dans leur condition sociale. Un coup de génie de Greenaway consiste à inscrire ce contrat dans la tradition de philosophie politique du contrat social. Un contrat entre les sexes qui permet d'interroger le consentement et le droit de chacun à disposer de son propre corps.


Là entre en jeu la notion de propriété, la demeure de Mrs Herbert à dessiner, mais aussi l'allégorie de la propriété, si non intellectuelle, du moins corporelle de Mrs Herbert et de sa fille. C'est à ce jeu avec les perspectives auquel s'adonne Mr Neville, à la faveur de ces douze dessins, autant que Peter Greenaway, à la faveur de ce film, qui se prend pour le Créateur. Il y a bien quelque chose de biblique dans ce film: le jardin semblable à l'Eden, les fruits défendus, le treizième dessin, qui valsent avec un érotisme assumé. Car le jardin à l'anglaise sauvage par tradition est ici carrément phallique, en témoignent les coiffes, obélisques et cierges.


La lenteur diabolique du film et la musique oppressante du clavecin ajoutent au suspense minutieusement construit. Dans le film comme derrière l'écran, qui croit comprendre est pris au piège du degré ahurissant de complexité. Il laisse parfois perplexe, comme avec cet homme nu, homme-feuillage ou statue qui vient nous narguer à intervalles réguliers.


Entre mégalomanie narcissique et grâce divine du réalisateur, entre folie absurde et maîtrise du détail, la frontière est poreuse. Un film exubérant, éreintant et insolent. Un film à s'arracher les cheveux d'une des perruques tarabiscotées de l'époque. Mais la force du film est également sa faiblesse. Sa virtuosité se déploie au détriment de la construction des personnages, qui restent semblables, ternes et distants. Fatalement, l'appel à notre raison, notre perspicacité tend à négliger celui des émotions et de la spontanéité.

Nuwanda_dps
7
Écrit par

Créée

le 21 janv. 2021

Critique lue 440 fois

3 j'aime

Emilie Rosier

Écrit par

Critique lue 440 fois

3

D'autres avis sur Meurtre dans un jardin anglais

Meurtre dans un jardin anglais
Krokodebil
10

La symbolique de l'ananas

Ce soir j'ai revu The Draughtman's Contract. Je ne l'avais découvert que récemment, mais ayant un conjoint paysagiste de formation, je voulais qu'il le voie avec moi, sachant par avance qu'il ne...

le 22 mai 2015

26 j'aime

4

Meurtre dans un jardin anglais
Angie_Eklespri
9

   Le plus important quand on signe un contrat, ce n’est pas le bout de papier, mais bien la table

     Effet Barry Lyndon ou quoi ? Enigme. Ce film est une énigme dans le bon sens du terme. Il y a un effet lumière à la bougie, qui ne dure pas longtemps. Il y a un...

le 10 août 2017

11 j'aime

2

Meurtre dans un jardin anglais
Mr_Kir
4

C'est loooooooooong

Allez à une exposition de peinture. Arrêtez vous une bonne heure devant chaque tableau. Sortez. Que ressentez vous maintenant ? Sûrement la même impression que j'ai éprouvée après avoir visionné ce...

le 17 avr. 2011

6 j'aime

Du même critique

Tralala
Nuwanda_dps
8

Tralala dans l'air

La scène d’ouverture donne le ton magique car enivrant de "Tralala" : la poussière d’un squat miteux près à être démoli qui devient poussière d’étoiles et source d’inspiration pour une prochaine...

le 13 sept. 2021

11 j'aime

1

Paterson
Nuwanda_dps
9

Paterson: une réconciliation

Paterson est l'homme, la ville, le film de la réconciliation. Réconciliation entre la pauvreté de la ligne de bus 23 et la richesse des dialogues de ses passagers. Entre la laideur du chien et la...

le 29 déc. 2016

11 j'aime

Sœurs d'armes
Nuwanda_dps
6

Une entreprise louable mais qui se prend à sa propre critique

Rares sont les films qui portent une perspective féministe sur la géopolitique. Car rares sont les occasions que nous offre la vie réelle de promouvoir cette démarche. En s'attachant au commando de...

le 30 août 2020

8 j'aime

1