La douleur d'avoir dépassé les cinquante et de ne pas être devenu un cinéaste majeur...

... cela peut, dans le meilleur des cas, donner Mes Provinciales, c'est à dire quand même un très bon film. Le réalisateur Jean-Paul Civeyrac a clairement voulu faire revivre (et tenter d'immortaliser ?), tant qu'il s'en sentait encore capable, ses années de jeunesse, ses premières amours ou premières rencontres amicales dans le monde du cinéma. Ce jeune provincial, Etienne, qui vient dans la capitale débuter des études de cinéma à Paris VIII, c'est lui (même si probablement un peu idéalisé) et les deux amis qu'il se fait très vite à la fac, Jean-Noël et Mathias, sont sans doute inspirés de garçons qu'il y a alors rencontrés. Les trois personnages sont peut-être un peu stéréotypés, mais ils ne sont pas désagréables à regarder vivre et on peut rencontrer dans la vraie vie des gens qui leur ressemblent. Les trois comédiens débutants qui les personnifient ne se débrouillent pas mal et sont assez crédibles. Ni beaux ni laids, ils ont de la présence et sont assez attachants, Corentin Fila ayant (avec Mathias) le rôle le moins sympathique. Le casting des filles est par contre super : elles sont, chacune à sa façon, magnifiques. Dans le film, Etienne les tombe quasiment toutes (sauf Annabelle Lit). Il a 21 ans, c'est du ciné, alors pourquoi pas ?
Le film durant 2h17 et se déroulant sur un fil d'intrigue assez lâche, le scénariste et réalisateur a éprouvé le besoin d'organiser la succession des séquences en : une intro, 4 chapitres (Un petit château de bohème; Un illuminé; Une fille de feu; Le Soleil noir de la Mélancolie) et une sorte de conclusion. Ce découpage rend peut-être le film plus lisible, mais au cinéma, ce procédé m'a toujours gêné (un film n'est pas un roman).
J'ai noté le nom du directeur de la photographie (Pierre-Hubert Martin), car j'ai trouvé la photographie très belle (acteurs photographiés d'assez près, souvent très bien et quelques photos de Paris et des bords de Seine vraiment magnifiques). J'ai bien aimé aussi l'utilisation du noir et blanc, façon Nouvelle Vague. Le film rappelle ceux de Jean Eustache : La Maman et la putain (pour la forme assez lâche) et Mes petites amoureuses (pour une part du sujet). Dans l'ensemble, l'aspect technique du film de Civeyrac m'a bien plu, je l'ai trouvé très maîtrisé, on sent qu'il a en main un sacré savoir-faire.
Ce qui m'a moins plu ? J'ai lu le mot "prétention" sous la plume du critique des "Cahiers". Je ne l'avais pas formulé ainsi, mais lors de l'Avant-Première, j'avais trouvé déplacée, agaçante l'utilisation massive de l'adagietto de la symphonie n°5 de Mahler, indéfectiblement associé dans ma mémoire à La Mort à Venise du grand Visconti. Revoyant le Civeyrac, je me suis dit qu'après tout, la "recherche de la beauté inaccessible" (pour reprendre un bout de phrase prononcé par le Jean-Noël de Mes Provinciales) n'était pas réservée à ce compositeur Gustav von Aschenbach sublimement imaginé par Thomas Mann et Visconti, que c'était une passion vécue peu ou prou par toutes les âmes artistes, donc qu'il n'était pas si ridicule que ça qu'elle soit au coeur des apprentis cinéastes mis en scène par Civeyrac, notamment celui d'Etienne. Après, c'est vrai qu'il y a dans le film une sorte d'étalage de culture (Gérard de Nerval et Les Filles du feu, Novalis et "Chaque jour, je vis de foi, de courage et meurs chaque nuit aux feux de l'extase", des ouvrages de Pascal, Flaubert, Pasolini ou sur Cocteau plus ou moins ostentatoirement cités ou exhibés, etc. ) qui, oui, peut agacer. Mais ça n'est pas un reproche rédhibitoire. Reste que Mes Provinciales est un fort joli film sur les débuts sentimentaux et professionnels de ceux qui, ayant fait le choix de consacrer leur vie au cinéma, essaient de réaliser un premier film qui, si possible, soit à la hauteur de leurs rêves.

Fleming
7

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le 19 avr. 2018

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