En Suisse, de nos jours. Jeanne une jeune pianiste apprend par hasard qu'elle a failli à sa naissance être échangée avec Guillaume, fils d'un pianiste de renommée internationale, André Polonski (!). Elle en profite pour s'introduire chez ce dernier qui en fait son élève. Ce que ne semble pas spécialement voir d'un bon oeil Marie-Claire, héritière des chocolats Muller. Au fil du temps, la bienveillance de cette dernière en vient à lentement s'effriter et Jeanne commence à se poser des question sur l'innocence de Marie-Claire (familièrement nommée Mika) et ce chocolat préparé avec tellement de soin pour toute la famille...


Merci pour le chocolat, l'un des deux films proposés par Le Monde en DVD en 2010 pour rendre hommage au cinéaste disparu semble une parfaite synthèse du cinéma de son auteur où tout ne se révèle subtilement qu'avec discrétion quand on y regarde plus précisément. Une histoire bien plus riche qu'on pourrait le penser, des cadres presque parfaits, de légers travellings et plans-séquences qui n'ont font jamais trop, des acteurs dirigés avec un soin tout particulier, des décors et moments sublimes, Chabrol c'est tout ça à la fois.


Ici, l'occasion de livrer une nouvelle fois un portrait de femmes était trop belle.
En l'occurrence deux portraits, deux actrices magnifiques qui semblent s'affronter et se croiser sans jamais véritablement se faire face. D'abord Isabelle Huppert, ensuite Anna Mouglalis, véritable révélation du film, portant une intensité diffuse et une sorte de douce aura, ce qui n'était pas facile face à l'interprétation magistrale d'Huppert. Je ne sais pas si la cinéphilie de Chabrol a forcément jouée mais la ressemblance entre Mouglalis et Asia Argento est fort troublante.


Ensuite Isabelle Huppert, formidable, dans un rôle presque antipathique au premier abord.
Mika (le nom lui-même fait penser à Milka au passage. Quand à Muller, je pense que c'est une allusion à peine voilée à la chocolaterie Nestlé. A creuser sans doute) est une bourgeoise hautaine, sûre d'elle, en profitant pour se mêler d'un peu tout (son apparition à l'hôpital chez la mère de Jeanne), irradiant de sa bienveillance qu'elle pense bien fondée, ne cachant pas son mépris contre les gens quand elle le peut (son allusion à Patou, le vieil homme qui était un ami de son père : "Il commence à devenir gênant celui-là" ou bien plus loin "pff, quel vieux schnoque").


Et pourtant, plus le récit avance plus le personnage se fissure lentement (un plan où Huppert regarde à la fenêtre, les yeux dans le vague, sans oublier un somptueux flash-back au milieu du film, laissant encore plus planer le doute) et l'on ne peut qu'être peiné face à ce qui nous apparaît comme une victime. Une femme qui a toujours voulu faire les choses, décider d'elle-même malgré son héritage. Tout ce qu'elle a fait, c'était par amour envers son mari. Tout ce qu'elle a fait, c'était parce qu'elle croyait bien faire, afin d'avoir le contrôle total sur sa propre vie de couple, sa propre famille (elle le dit elle-même à un moment, elle a été adoptée). Il y a finalement quelque chose de Simenon chez Chabrol dans la manière de vouloir percer le secret de cette femme étrange, de faire ressortir son humanité des zones d'ombres où elle s'est enfouie.


Isabelle Huppert livre une prestation fabuleuse, toute en retenue, à la fois complètement irritante, inquiétante (ce plan où elle avoue la vérité tout en caressant les cheveux de son mari --joué par un Jacques Dutronc sobre et juste--) et finalement très touchante, à l'instar du plan final, très beau plan séquence qui part d'un gros plan de son visage halluciné pour lentement se reculer (plan que je ne révèle pas pour ne pas déflorer son petit effet)...


Subtilement, malgré quelques petites longueurs et un comédien ou deux en dessous (notamment Guillaume, le fils Polonski, joué par Rodolphe Pauly, très fade), le film m'a paru un véritable éblouissement.


D'abord parce que comme je l'ai mentionné, Chabrol disposait d'une grâce étrange et discrète qui ne se remarque pas forcément à première vue. Ensuite parce qu'outre ses actrices, l'histoire, même si elle démarre lentement, se révèle plus que passionnante. Deux mystères à l'oeuvre : un mystère policier (qu'est-il advenu de la première femme de Polonski ? Est-ce lié à Mika ?), un mystère scientifique (l'origine de Jeanne est-elle vraiment un mystère ? Un simple incident lié au hasard ?) lié à la thématique de la filiation.


Thématique que Chabrol va ingénieusement utiliser pour tisser la toile d'araignée qui va ensuite planer sur les personnages, notamment dans le rôle que joue la photographie. De la première femme de Polonski, nous ne connaissons que des photos, vues au début du film (une exposition de Mika et André) et au milieu, par le prisme du regard de Jeanne. Or, la regrettée disparue va par la suite comme vampiriser et Jeanne et le film (le flashback, la répétition d'un incident, les fondus-enchaînés).


En effet, comme de par hasard, Jeanne adoptera après avoir vu des photographies de la disparue, des postures et gestuelles similaires. Est-ce inconscient (Jeanne semble intérieurement bien plus bouleversée par l'incident de sa naissance qu'on peut le croire) ? Est-ce conscient ? Quelle rôle joue la jeune fille là-dedans, et pourquoi ? Chabrol pourrait donner une réponse, il n'en est rien, il laisse malicieusement le spectateur se faire sa propre idée de lui-même. Même les dialogues laissent plonger le doute. A une Jeanne qui écoute la musique de Liszt et se tient les mains sur les joues, un léger travelling cadre la tête d'André qui la regarde brièvement avant que la caméra ne dézoome lentement sur un plan d'ensemble et ce dialogue insidieux entre les deux :


"Surtout n'essaye pas de l'imiter, ce serait une catastrophe.
_ Je joue très mal.
_ Pas du tout. Seulement, ce n'est pas comme ça qu'il faut jouer (...)
"


Bien sûr, ils parlent de musique.
Des funérailles de Liszt plus précisément. Seulement voilà, la posture ne peut que rappeler au spectateur bien réveillé certaines photos vues auparavant. La question se pose donc : André a t-il un soupçon ? Lui arrive t-il à ce moment de penser que Jeanne fait exprès de ressembler à sa femme disparue ? Qu'elle l'imite ? Le doute s'installe pour ne plus lâcher les personnage et le spectateur.


Très fort monsieur Chabrol.


Le film, sur un rythme tranquille se fissure lentement et grandit en intérêt au fur et à mesure qu'on se rapproche de la fin. Brillant et langoureux comme un bon bol de chocolat chaud. Insidieux, subtil et intelligent.


(pour les curieux, des captures que j'avais faites du film sur mon blog, mettant encore plus en évidence la réalisation de Chabrol, faussement académique, plus insidieuse qu'on le croit : http://dvdtator.canalblog.com/archives/2010/12/10/19839400.html )

Nio_Lynes
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le 21 mars 2019

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Nio_Lynes

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