La Grèce pré-archaïque en image

C'est en voyant aussi peu de critiques positives et une moyenne très faible pour une telle oeuvre que je me décide à écrire ce petit laïus.
Il faut peut-être être amoureux de la Grèce antique, ou du moins se passionner sur la question de l'origine de notre civilisation pour aimer ce film (une des plus grandes réussites de Pasolini). Pasolini, d'une part homme très engagé politiquement et d'autre part homme de culture, est assez logiquement hanté par la question de l'origine.
L'origine de la civilisation européenne bien sûr, mais aussi d'une façon beaucoup plus large, les formes les plus primitives de sociétés humaines.
Pour cela il revient aux mythes grecs (ici Jason et la Toison d'Or, mais on lui doit aussi Oedipe roi, et le projet avorté d'une Orestie africaine). Si c'est par Apollonios de Rhodes (écrivain lagide du III° siècle avant notre ère) que nous connaissons bien le mythe de Jason et de la Toison d'Or, Pasolini en donne une vision qui n'a rien de formatée ou anachronique. Par là il atteint l'universel.
Car les mythes grecs sont sensés se dérouler dans une Grèce pré-archaïque (avant le VIII° siècle). Or c'est justement l'endroit où la liberté créatrice de l'artiste peut s'épancher le mieux sans bousculer trop l'histoire. Car nous savons peu de choses de cette période, les écrits étant d'une rareté extrême, ce qui laisse beaucoup de champ à Pasolini.
Et c'est là qu'il atteint le miracle : il arrive à produire l'illusion que l'action se déroule dans un temps extrêmement reculé et simultanément de montrer ce qu'il y a de plus intemporel chez l'homme, c'est à dire ce qui relève uniquement de notre psychologie et non de déterminismes sociaux. C'est pour cela que le film parle peu ... c'est le psychisme humain seul qui parle, et celui ci se passe de la parole, fonction sociale par excellence.
Pour autant la société y est présente. La scène du sacrifice par exemple, très éprouvante pour le spectateur (mais terriblement belle) nous montre au contraire, un homme déjà complètement socialisé, bien loin de l'homme naturel.
La photographie est d'une beauté rare, les décors vraiment sublimes. Il nous met devant les yeux ce dont nous rêvions en lisant les classiques. Et il ne les trahit pas ! Et du coup nous ne sommes pas déçus par la mise en image de ce qui nous n'avions fait qu'imaginer et fantasmer dans notre petit esprit. C'est déjà un grand tour de force.
Quelle bonne idée d'avoir donné le rôle à Maria Callas ! Ce n'était pourtant pas une idée qui allait de soi ... loin s'en faut. Callas c'est avant tout une chanteuse. Est-ce sa prestation dans l'opéra de Cherubini qui a poussé Pasolini ? Toujours est-il que faire jouer Callas sans la faire chanter c'était déjà un pari audacieux ... mais la faire jouer dans un film quasi-muet c'était carrément insensé. Et bien Pasolini a touché juste, car Callas qui à cette époque, déjà retirée des planches, déprimée inexorablement à cause son amour déçu, prouve là un immense talent.


J'avais rêvé de voir ces temps les plus reculés de l'histoire grecque, Pasolini l'a fait et magistralement.

Tristan33
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le 21 mai 2015

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Tristan33

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