Un film un rien traumatisant pour les êtres polis de civilisation que nous sommes. Après son exil auprès de Chiron, Jason vient réclamer son trône. S'embarquant sur un radeau sale, il apparait dans un encadrement de porte et séduit, par sa simple étrangeté, Médée, sorcière locale d'une petite civilisation troglodyte et misérable en pleine involution. Brutale, elle tue et trahit son peuple (au passage dépeint d'une façon très peu sympathique) et s'embarque dans l'inconnu, se privant de tout sens, de toute racine, de toute magie.


Quittant la Colchide, ils rejoignent alors la Grèce, qui en dépit d'un niveau de vie sensiblement meilleur, n'est pas non plus une civilisation aussi glorieuse que celle décrite dans les mythes. Cependant, elle est grecque ; en cela, son mode d'action n'est guère plus la magie, mais la psychologie. Même le centaure Chiron, créature issue du vieux monde, n'ose plus paraître sous sa forme animale. La littéralité fait place à la métaphore, la nature, au sacré, le sacré, au divin, le divin, au calcul. Jason semble incarner cette nouvelle évolution de l'espèce humaine et se fiche bien de tracer des cercles magiques ; tel un heureux moderne, il jouit de la tranquillité d'un monde sans dieu.


Dans un dernier élan de vitalité magique, Médée parvient à ensorceler les images de l'ordre et de la civilisation en leur faisant douter de leur nature même ; sa vision était celle de l'ennemi prenant feu par l'action magique de la vengeance ; la civilisation psychologique les fait se suicider par désespoir métaphysique.


Très sommairement, le film juxtapose différents états de la civilisation. Plus qu'une opposition claire entre barbarie/civilisation, j'entrevois, à travers les multiples références faites à de multiples peuples de la Terre, une forme de conte sur le matérialisme historique, dans une sorte d'accès de marxisme enchanté. Tandis que les Colchidiens aiment à s'agiter en désordre sur des airs d'Amazonie, flanqués de costumes extraordinaires en peau de bique, les Grecs se prélassent et jouent de la musique japonaise traditionnelle, pensifs.


On pourrait penser qu'enfin, nous avons renoncé à la barbarie d'un peuple brutal et renfermé. Mais Médée a semé le doute : qu'arrivera-t-il, le jour où nous n'égorgerons plus un seul mouton, ne sacrifierons plus un seul être humain ? Une fois la Toison d'Or et les vieux dieux imbéciles vidés de leur sens, il ne reste plus d'autre raison que la raison (logos) et la logique formelle. Aux yeux de nous, spectateurs polis, cultivés et doux assis sur nos canapés regardant des acteurs éminemment raffinés participer à une pareille cacophonie, il n'est pas certain que notre avancée dans la technologie illuminée de la logique formelle nous permette d'échapper aux retours du vieux dieu du désert, solitaire et furieux.

Lassie
8
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le 26 août 2017

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